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« Que la mort me délivre de cette souffrance » : la longue agonie des agricultrices atteintes du cancer à l'Ouest du Cameroun

« Que la mort me délivre de cette souffrance » : la longue agonie des agricultrices atteintes du cancer à l'Ouest du Cameroun
  • 11-Jun-2025 22:00:00

Victimes des stéréotypes et préjugés, certaines ne se font consulter que par leurs marabouts et tradi-praticiens. D’autres, patientes dans les hôpitaux, peinent à couvrir les coûts élevés des médicaments et des soins palliatifs. 

 

Atteinte d'un cancer du sein, Brigitte T.  ne croit à aucune « solution médicale moderne » pouvant l’aider. Les journées et nuits de cette veuve âgée de 68 ans sont rythmées par d’atroces douleurs. Son sommeil est perturbé.  Son sein gauche, volumineux, la fait souffrir et la contraint à rester couchée. « Que la mort me délivre de cette souffrance », répète épuisée, la sexagénaire, pagne noué aux aisselles. Allongée sur son lit dans la chambre de sa petite maison en terre battue située à Bamendou, village de l’ouest du Cameroun, Brigitte attend, impatiemment et récluse, la fin de sa longue agonie.   

 

 

Tout commence en 2018. Un soir, de retour du champ, cette agricultrice découvre la présence d’une boule dans son sein gauche lors de son bain. Inquiète, elle se fait consulter par son marabout (guérisseur traditionnel). Ce dernier lui assure avoir extrait la boule à travers des pratiques magiques. Comme traitement, il lui remet des produits traditionnels en poudre à utiliser comme potions consommables et massages. Mais au bout de six mois, le sein continue de prendre du volume. La boule est toujours là. 

 

 

« Maladie Mystique » 

 

 

C’est alors que commence une véritable course aux guérisseurs traditionnels. Brigitte enchaîne les marabouts jusqu’à ce que son frère aîné, alarmé par sa situation, l’oblige à se faire consulter dans un hôpital. Après une longue série d’analyses, le verdict tombe: cancer du sein. Mais Brigitte, comme une bonne partie de la famille, n'y croit pas. 

 

 

Pour eux, sa maladie est créée mystiquement par des personnes qui en veulent à sa vie. Ils continuent de ne se fier qu’aux tradipraticiens. « Mon oncle est le seul qui croit à ce que l’hôpital dit. Comment on peut soigner une maladie mystique à l’hôpital », s’étonne d’ailleurs Paulin Vokeng, le fils de l’agricultrice. 

 

 

Brigitte n’est pas la seule dans cette situation. En zone rurale où la population est très souvent illettrée, vit loin des centres hospitaliers, manque d’argent pour se soigner ou encore méconnaît l'existence de certaines maladies, le guérisseur est leur principal médecin. 

 

 

Dans une étude sur l’importance de la médecine traditionnelle au Cameroun, les chercheurs notent que dans certains coins reculés, plus de 80% de la population se tournent vers ces tradipraticiens ou ont recours à l’automédication pour soigner leurs principaux maux (paludisme/fièvre, verminoses…). Quand le mal persiste, les malades pensent le plus souvent à la sorcellerie. 

 

 

Sorcellerie

 

 

Dans sa thèse intitulée « Thématique persécutrice et narcissisme chez des patients du cancer au Cameroun », Jean-Pierre Mambou Nouemssi observe que de nombreux patients atteints de cancer au Cameroun attribuent leur maladie à des attaques de sorcellerie. Cette perception, fréquente en Afrique, est souvent interprétée comme le reflet du caractère collectiviste des sociétés africaines, où la maladie devient une expression symbolique de tensions interpersonnelles et communautaires.

 

 

Au-delà de cette lecture sociale, l’auteur met en lumière des dynamiques psychiques individuelles, notamment de nature narcissique. Le recours à une explication persécutive peut ainsi représenter une forme de déni de la maladie, un mécanisme de défense contre l’angoisse de mort, ou encore l’expression d’un sentiment de toute-puissance, caractéristique du narcissisme primaire.

 

 

Dans ce contexte, la pensée persécutive s’accompagne souvent d’une hypertrophie du moi, où le patient se considère comme victime d’une personne jalouse, généralement issue de la génération parentale, dans ce qui s’apparente à un conflit œdipien. Le cancer est alors vécu comme une atteinte narcissique majeure, menaçant l’image idéale que le sujet a de lui-même.

 

 

« Le marabout ne soigne pas le cancer »

 

 

Des croyances qui désolent les professionnels de la santé rencontrés par Agripreneurs d’Afrique. « Le marabout ne soigne pas le cancer. Confiez-vous aux médecins à temps et la solution sera trouvée », conseille inlassablement le docteur Léonel Tabolla, oncologue à l’hôpital régional de Bafoussam, la capitale régionale de l’ouest. 

 

 

« De manière globale, il faut tout simplement savoir dépister le cancer à un âge très précoce. Pour le cancer du sein par exemple, c’est l’autopalpation mammaire et les mammographies », ou le frottis servico-vaginal pour le cancer du col de l’utérus, appuie son collègue, le Dr Boris Ndjabang, gynécologue obstétricien dans la même formation hospitalière. 

 

 

Sur le terrain, la situation reste préoccupante. Selon le rapport « Cancers diagnostiqués dans les principaux services d’anatomopathologie et d’hémato-oncologie du Cameroun en 2021 » publié par le ministère de la Santé publique (Minsanté), et fondé sur les données du Global Burden of Cancer 2020, environ 20 745 nouveaux cas de cancer sont détectés chaque année au Cameroun. 

L'autopalpation des seins. Image d'illustration via Wikimédia Commons

 

 

Le rapport révèle que le cancer est responsable d’environ 13 199 décès annuels, soit un taux de mortalité sur incidence supérieur à 63 %. Les femmes sont particulièrement touchées, avec 12 235 nouveaux cas, contre 8 510 chez les hommes.

 

 

En termes d’incidence annuelle, les cancers les plus fréquents sont le cancer du sein (4 170 nouveaux cas), le cancer du col de l’utérus (2 770 cas), le cancer de la prostate (2 189 cas), se plaçant au troisième rang. Viennent ensuite les lymphomes (1 638 cas), le cancer du foie (775 cas) et les cancers colorectaux (474 cas).

 

 

4027 cas de cancer du sein depuis 2022

 

 

D’après un article publié en avril 2025 par le média Data Cameroun, depuis 2022, environ 4 207 nouveaux cas de cancer du sein ont été diagnostiqués au Cameroun. En 2023, le ministère de la Santé publique indiquait déjà dans le Bulletin épidémiologique du Cameroun que le cancer du sein était le plus fréquent dans le pays, avec 3 031 cas diagnostiqués, dont 37 confirmés en laboratoire. Deux ans plus tard, le nombre de cas a continué d’augmenter, ce qui alerte les autorités sanitaires.

 

 

Selon Data Cameroon, plus de 403 cas de cancer ont été enregistrés dans la région de l’Ouest Cameroun entre mars 2023 et avril 2024. L’ensemble de ces patients est pris en charge par l’unique oncologue médical en poste à l’Hôpital régional de Bafoussam. Au-delà du traitement, l’une des missions du médecin reste la sensibilisation de ses malades qui sont au centre de nombreuses stigmatisations de la part de leurs proches et connaissances. Une réalité qui contribue à la non-acceptation du sort qui leur est désormais réservé. 

 


« 
J’ai été stigmatisée. J’ai été traitée de sorcière », se souvient encore Hortense Valérie Matsasso Meli dont le cancer du sein a été diagnostiqué en phase 4 en 2018. La présidente de l’antenne régionale (Ouest) de l’association Tous contre les cancers  explique que cette maladie, «tueur silencieux », crée une frayeur face à l’atrocité que subissent les patients. Certains finissent donc par le mystifier. « Il y a beaucoup de malades qui ne veulent pas qu’on sache qu’elles sont atteintes de cette maladie. Elles se renferment sur elles-mêmes », soupire celle qui, après 35 séances de chimiothérapie, est désormais en rémission. 

 

 

Lire aussi: À l'ouest du Cameroun, les femmes misent sur l'apiculture

 

 

Les patientes qui souhaitent se soigner arrivent le plus souvent tardivement chez le médecin et n’ont surtout pas les moyens financiers. Car la complexité des itinéraires thérapeutiques en Afrique francophone, combinant circuits médicaux conventionnels, pratiques religieuses, et recours à des guérisseurs ou charlatans, contribue aussi à retarder le diagnostic et la prise en charge adéquate du cancer. 

 

 

60 % de patients décèdent l’année suivant le diagnostic

 

 

C'est ce que souligne le rapport Les Cancers en Afrique francophone, publié en juin 2017 par la Ligue française contre le cancer et l’Alliance des Ligues Africaines et Méditerranéennes contre le cancer. Ce même document indique que ces parcours de soins fragmentés expliquent la forte proportion de patients — plus de 70 % — pris en charge uniquement par des soins palliatifs. Il estime également que près de 60 % des patients décèdent dans l’année suivant le diagnostic.

 


« Maladie des riches
 » comme le confie Hortense Valérie Matsasso Meli, « le cancer alarme et appauvrit ». Elle explique qu’il faut dépenser deux millions de francs CFA pour la radiothérapie. Quant à la chimiothérapie, il faut prévoir environ 700 000 francs CFA la séance dans un centre privé ou 400 000 Francs CFA à l’hôpital général de Douala, hôpital public de référence au Cameroun. Contacté depuis novembre 2024, le centre hospitalier où accourent de nombreux malades atteints de cancer des quatre coins du pays et même de la sous-région, n’a pas donné suite à nos questions. 

 



Une agricultrice camerounaise. Photo de Minette Lontsie via Wikimédia Commons.

 

 

 

Face à ces coûts exorbitants, seuls « ceux qui ont les moyens » s’en sortent assure Hortense Valérie. Par conséquent, de nombreuses agricultrices meurent à petit feu. À Foyet dans le département du Noun, Kakouo Chetou, 70 ans et atteinte du cancer du sein, est dans cette situation. « Quand je la vois dans cet état, incapable de lui venir en aide, je préfère mourir à sa place », se desespère Amadou Mefiré, son fils. 

 

 

D’après ses explications, sa géniture a présenté le sein malade au moment où la douleur s’était déjà installée. Conduite à l’hôpital protestant de Njisse à Foumban, un prélèvement a été effectué et envoyé au Centre Pasteur de Yaoundé pour analyse. Après confirmation, Kakouo Chetou a entamé son traitement dans la capitale. Très vite, elle a été limitée par le manque de moyens financiers. Ce qui l’a contrainte à arrêter le processus. 

 

 

La mort dans les chambres

 

 

« Nous n’avons pas pu faire une séance de chimiothérapie. Nous n’avons jamais pu regrouper le montant exigé par l’hôpital », souligne une patiente, sous anonymat. Cette agricultrice âgée de 53 ans et  domiciliée à Bandjoun dans le Koung-Khi, atteinte du cancer du sein depuis 2021, assure qu’elle se limite à la prise de médicaments qu’elle trouve d’ailleurs onéreux. 

 

 

« Je meurs à petit feu et dans la douleur », souffle-t-elle. À en croire Hortense Valérie Matsasso Meli, depuis janvier 2024, au moins six femmes enregistrées par son association, sont décédées de suite de cancer dans la région de l’Ouest. « La dernière en date est décédée le 20 mai 2025 », regrette-t-elle. 

 

 

La présidente de l’antenne régionale de l’association Tous contre les cancers précise qu’ « il s’agit là des cas qui étaient pris en charge à l’hôpital, portés à notre connaissance. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de morts dans les chambres à la fois par manque de moyens et aussi, parce que mal informées du cancer. Je ne connais même pas les cas pris en charge par les charlatans ». 

 

 

Stade avancé

 

 


«
Nous n’avons pas beaucoup de données sur le cancer », avoue d’ailleurs Edmond Fofu, gestionnaire des données au service de l’information sanitaire et de la planification, à la délégation régionale de la Santé publique de l’Ouest (Drspo). Bien que disponibles mais non actualisées,  les statistiques sur les cancers ne nous ont pas été communiquées malgré nos démarches. « Seul le délégué régional à compétence de partager ces données », déclare Edmond Fofu. Contacté, le Dr. Daouda Chinmoun, délégué régional à l’époque, n’a donné aucune suite à nos relances. 

 

 

 

Sur le terrain, anonymes ou déclarées dans les hôpitaux, les agricultrices continuent de souffrir et de mourir. Hortense Valérie Matsasso rêve de voir l'État subventionner la prise en charge des patients. « C’est alarmant que l’Etat ne se lève pas au point où c’est nous qui sommes en train de nous battre à notre niveau et qu’il ne soit même pas en train de nous soutenir », fulmine la militante. Regroupés en associations, les malades du cancer plaident pour l’humanisation des soins et de leur prise en charge, à travers des plaidoyers.

 

 

En attendant des avancées majeures dans le traitement du cancer, le Dr. Jean Marie Alima, gynécologue-obstétricien à l’Hôpital régional de Bafoussam, encourage les femmes à adopter les principales armes de lutte contre cette maladie : la prévention et le dépistage précoce. « Dépisté tôt, le cancer peut être guéri. Mais lorsqu’il est découvert à un stade avancé, avec des métastases, le patient ne peut bénéficier que de soins palliatifs visant à atténuer la maladie, en particulier les douleurs », précise-t-il.

 

 

Chances de guérison

 

 

Même si les cas de guérison du cancer restent rares, le spécialiste ajoute néanmoins que des traitements existent pour ralentir la progression de la maladie, améliorer la qualité de vie et la prolonger. « Les chances de guérison dépendent de plusieurs éléments, notamment le type de cancer, le stade d’évolution au moment du diagnostic et la réponse individuelle du patient aux traitements », détaille le Dr Jean Marie Alima qui insiste sur l’importance pour les femmes de connaître et de prendre en compte les facteurs à risques pouvant favoriser l’apparition de la maladie.

 

 

Les multiples accouchements et accouchements précoces fragilisent l’organisme de la femme et le prédisposent au cancer du col de l’utérus, poursuit le gynécologue-obstétricien. Le saignement après le rapport sexuel est également un signe précurseur. La meilleure arme reste donc la prévention car une femme peut par exemple vivre avec le virus Hpv pendant 10 ans et sur 100 femmes, 90% éliminent le virus. 

 

 

Lire aussi: Avec les maraîchères bio de Douala

 

 

« Dix jours après la fin de ses règles, la femme est invitée à se placer devant un miroir et à palper ses seins, en effectuant des mouvements rectilignes ou circulaires, de l’extérieur vers l’intérieur », conseille le Dr Jean Marie Alima. L’apparence orange de la peau tout comme la boule dans le sein devrait inquiéter. Cela pourrait être le signe de la présence d’une tumeur maligne ou bénigne, conclut le spécialiste. 

 

Aurélien Kanouo Kouénéyé

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