« Je suis une amoureuse du miel » : à l'Ouest du Cameroun, les femmes misent sur l'apiculture
Engagées dans la production, la conservation et la commercialisation, elles écoulent leurs produits au Cameroun et à travers le monde.
La production du miel n'est plus un secret pour Pauline Solange Kenfack. Cette sexagénaire est engagée dans la production traditionnelle et artisanale de ce nectar extrait des ruches semi-modernes dans la localité de Fongo-Tongo dans la région de l'ouest du Cameroun. Mère de cinq enfants, cette apicultrice partage son quotidien avec son dernier fils et deux de ses petits-fils. Pauline s'est lancée dans cette activité qui lui permet de subvenir aux besoins de sa famille il y a bientôt une décennie. Par curiosité. « Je suis une amoureuse du miel. Chaque fois que j'allais au marché vendre mes produits, je ne pouvais retourner sans une bouteille de miel. Malheureusement, je ne savais pas distinguer le bon du faux. C'est ainsi que je me retrouvais régulièrement avec du mauvais à la maison, raconte l'apicultrice, veuve depuis quatre ans. « Mon avenir est dans le miel », soutient-elle.
Un jour, lassée par ces mésaventures, elle décide par curiosité de se rapprocher d'un producteur afin de savoir comment distinguer le vrai du faux. De leur conversation naît l'envie de se lancer. Pauline Solange Kenfack commence avec une ruche qu'elle installe dans son champ, avec l'aide de son fils. « Petit à petit, le goût de produire à grande échelle s'installe en moi », se souvient celle qui possède aujourd'hui 10 ruches modernes posées sur les flancs de collines. Avec une production mensuelle évaluée à 12 litres, elle se réjouit de la qualité de ce qu'elle consomme, mais, surtout, des recettes qui en découlent. A chaque récolte, une partie est destinée à la commercialisation et une autre à sa famille. Pauline Solange Kenfack évalue à près de 500 000 francs CFA le revenu annuel tiré de la vente de ce nectar fortement prisé dans cette partie du pays où les populations vivent essentiellement de l'agriculture.
7 800 tonnes de miel produites en 2023
Comme elle, de nombreuses femmes se sont engagées dans l'apiculture avec l'ambition de faire de l'Ouest un bassin de production capable de concurrencer la région de l'Adamaoua qui représente 70 % de la production nationale au Cameroun. Selon les données de Gabriel Mbairobe, ministre de l'Agriculture et du Développement rural, en 2023, le Cameroun a produit 7 800 tonnes de miel, soit une hausse de 12 %. Cependant, le miel blanc d'Oku, récolté sur les flancs du mont Oku dans le Nord-Ouest camerounais, labellisé par l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), reste le plus célèbre et le plus prisé pour ses nombreux bienfaits. Et à l'Ouest, les apicultrices misent aussi sur les bienfaits de leur produit.
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« Le miel produit à Baboné est apprécié pour ses vertus nutritives et médicinales avérées. Son goût savoureux et son parfum particulier, doublé des antibiotiques et des antifongiques prouvés par les scientifiques, captivent les amoureux », vante Berlyne Djomoleu. La promotrice du miel Baboné dans le département du Haut-Nkam dit offrir un miel « bio et naturel avec les abeilles qui se nourrissent de manière particulière», notamment d'eucalyptus et d'une diversité de fleurs locales, loin de l'air pollué.
Berlyne Djomaleu a commencé avec quatre ruches et en possède plus de 40 aujourd'hui. «Je me suis souvenu de la présence de quelques ruches traditionnelles installées par certains aînés. Ils fournissent un miel succulent aux populations. C'est ainsi que j'ai mis sur pied mes premières ruches. Les premières récoltes étaient distribuées. Les gens ont aimé, c'est ainsi que j'ai commencé à être envahie par les commandes faites au niveau local, national et par les expatriés », confie-t-elle.
Formation
À l'époque, cette promotrice des colonies de vacances, habituée à recevoir les touristes et les familles des expatriés, avait pour habitude de faire des paquets souvenirs à ses hôtes. Aujourd'hui, son miel est vendu à travers le monde. Des revenus qui constituent une source de motivation pour développer ce projet. Berlyne a pour objectif de former les jeunes, hommes et femmes, à la production, la conservation et la commercialisation du miel, avec à la clé, la création d'une miellerie afin de produire et de commercialiser le miel et ses produits dérivés. Et plus tard, labéliser.
« Le défi pour nous est de former tous ceux qui aspirent à la production du miel, ce concentré de vertus médicinales aux avantages nutritionnels incroyables », insiste Pauline Solange Kenfack. La sexagénaire souligne que la production de miel nécessite moins d'investissement financier. Avec près 50 000 Francs Cfa, voire moins, chaque femme peut se lancer dans l'apiculture, assure-t-elle. D’autant plus que certaines peuvent s’appuyer sur certaines pratiques ancestrales afin d’obtenir rapidement du miel de bonne qualité et plus tard, utiliser les gains obtenus pour moderniser son activité.
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En effet, le miel extrait des ruches est produit naturellement par les abeilles qui s'alimentent du nectar des fleurs, décrit Hélène Sobon, apicultrice installée à Babadjou dans les Bamboutos. Selon les techniques culturales mises en place par les apicultrices, des ruches sont placées sur des collines, sur les arbres ou sur des rochers, afin d'attirer les abeilles qui produisent le miel de façon naturelle. Dans la panoplie de miel produit par ces femmes, on les distingue par leur couleur: du miel blanc, noir et marron, gris, brun. Et le goût de l'un se distingue de l'autre. « La couleur du miel épouse la couleur de la fleur que les abeilles ont consommée », précise Hélène Sobon. Les clients peuvent ainsi distinguer le miel au goût fort de celui légèrement fort, ou encore le miel doux ou sucré de celui amer.
«Léguer cet héritage »
« Par l'odeur, je suis capable de distinguer le miel du café de celui de l'eucalyptus. Certains confondent la qualité du miel avec sa lourdeur. Pourtant, il y a du miel lourd, du miel léger, ou un tout petit peu léger. Tout est fonction des périodes, du lieu où il est exposé et de la température. Une autre chose est de savoir que le miel filtré est différent de celui conservé dans les mêmes conditions qu'à la récolte, poursuit Hélène. Si certaines utilisent les méthodes traditionnelles, à savoir l'utilisation du feu, d'autres fabriquent des ruches pour la récolte à grande échelle. Une méthode conditionnée par l'investissement dans l'achat du matériel: des combinaisons de protection, l'enfumoir. Ce dernier permettant d'éloigner les abeilles sans les tuer. « Comme il n'y a pas trop de dégâts et qu'il y a encore du miel, les abeilles continuent de produire pour la prochaine année », précise Hélène Sobon.
Après la récolte, ces apicultrices passent ensuite à l’extraction et enfin, la conservation avant la commercialisation. Une activité moins exigeante en termes de temps et qui permet à ces femmes de faire des économies. Elles vendent leurs produits dans des marchés, des foires, des festivals, des forums économiques et même à l'étranger, à l'exemple de Berlyne Djomaleu. Pauline Solange ambitionne d'ailleurs de « léguer cet héritage » à sa progéniture qui met déjà un accent particulier sur le paquetage. « Mes enfants se sont déjà engagés à poursuivre cette activité qui nourrit bien son homme… D'ailleurs, pour une consommation familiale, le miel est bénéfique pour la santé. Personne ne peut ignorer les vertus médicinales de ce liquide sur la santé du consommateur », vante-t-elle. Son vœu est de voir les jeunes et surtout ,les jeunes filles s'engager dans l’apiculture.
Armel Djiogue