« Je cueille tout dans mon jardin » : avec les maraîchères bio de Douala
Dans la capitale économique du Cameroun, les femmes se lancent de plus en plus dans l'activité agricole sur des espaces réduits où elles cultivent, sans engrais chimiques, des légumes.
Il est 7 h 30 au domicile de Brigitte Mkoufo à Mbanga-Pongo, un quartier de Douala, capitale économique du Cameroun. Dans la cour arrière de sa maison, cette jeune femme âgée de 37 ans a formé des sillons et y cultive des waterleaft (légumes), graines de courge et macabos. Chaque jour, durant deux heures, cette trentenaire nettoie, désherbe, arrose… « Je préfère cuisiner ce que j'ai moi-même cultivé car, je suis sûre de sa qualité. C'est vraiment du bio qu'on consomme chez moi », raconte cette mère de cinq enfants, les mains occupées à retirer les mauvaises herbes entre ses plants de légumes. Lors des récoltes, elle vend le surplus, soit une recette journalière de 2 000 Francs Cfa.
Brigitte Mkoufo n’est pas la seule maraîchère du coin. Elles sont une quinzaine à cultiver principalement, sans produits chimiques, des légumes, mais aussi des melons, graines, tubercules... Elles ont pour la plupart aménagé de petits jardins dans leur domicile. Ces maraichères consomment une partie de leur production et en commercialisent l’autre. Une activité qui leur permet de nourrir leur famille, gagner de l’argent, faire des tontines…
90 000 Francs Cfa le mois
C’est le cas d’Adeline Manouet résidente dans ce quartier depuis 20 ans et spécialisée dans la culture de tisane, foleré, kelen Kelen et autres légumes. Son emploi du temps est partagé entre son champ et ses activités ménagères. Deux fois par jour, à 5 h du matin et 17h, elle arrose ses plantes. «Je cueille tout dans mon jardin. J'achète juste certains tubercules pour accompagner mes sauces aux légumes», précise cette passionnée d'agriculture qui approvisionne sa localité. «Certaines femmes viennent toujours chez moi acheter le kelen kelen et le foleré. Par jour, je peux vendre des légumes de 3 000 francs Cfa», soit près de 90 000 F.Cfa le mois, poursuit-elle.
Malgré ces sources de revenus substantiels, ces maraichères rencontrent de nombreuses difficultés: accès à la terre, qualité des sols, présence de ravageurs, accès aux semences… Au Cameroun, l’agriculture emploie plus de 60% de la population active. Mais, le secteur peine à se développer. Du fait de la périssabilité des aliments qu’elles cultivent, les maraichères de Douala sont encore plus exposées. Et pour cultiver bio comme elles le font, il faut trouver des alternatives aux engrais chimiques.
Selon une étude menée dans les villes de Douala et Yaoundé, parue en 2022 et intitulée « Percées technologiques et institutionnelles de l'agriculture biologique en matière de sécurité alimentaire au Cameroun », les principales contraintes à cette agriculture « naturelle », « assez familiale (notamment centrée sur les femmes) », sont relatives aux besoins de formation, de support, de conseil et à l’absence d’une réglementation sur l’agriculture biologique
Groupe d’entraide
Alors, pour s’en sortir, Adeline Manouet surnommée « la doyenne » du fait de son ancienneté dans l’agriculture dans le quartier, a créé un groupe de 15 femmes qui se retrouvent une fois par mois. Parmi elles, il y a des amatrices en techniques agricoles et des professionnelles, celles qui ont acquis l’expérience au fil des pratiques. Durant ces rencontres mensuelles, elles partagent des conseils. En plus d'aider les débutantes avec des astuces sur la préparation de la terre, le groupe permet aussi aux membres de s’entraider, via le partage des semences par exemple.
« Pour cultiver il faut connaître la semence», explique Adeline. Les plus expérimentées édifient les autres sur la zone de Mbanga-pongo connue pour ses inondations et son sol sablonneux. «Il faut savoir surmonter la terre pour épargner les plantes de l'inondation. Le plus souvent, certaines femmes ne savent pas le faire. À la fin, elles obtiennent de mauvais résultats. Voilà pourquoi nous nous entraidons », ajoute cette mère de cinq enfants. Parfois, elles partagent des méthodes permettant d’entretenir leurs jardins ou encore de lutter contre les ravageurs.
« Les animaux qui s'attaquent à nos plantes créent le découragement . Du coup, il faut chercher le traitement bio qui va avec la plante », soupire Gaëlle Tchouko, vêtue d'une robe fleurie et foulard nouée sur la tête. Pour les combattre, cette cultivatrice de légumes et graines de courge verse des fientes de bœuf sur les plantes en germination dans un enclos fait des feuilles de Raphia. Bien plus, cette mère de huit enfants qui a installé des piquets tout autour de son jardin pour barrer l’accès aux poules et chèvres, saupoudre ses plantes de cendre tous les deux jours.
Sensibilisation
Dans ce groupe constitué de femmes âgées entre 37 et 58 ans, l’objectif n’est pas que de soutenir les passionnées de maraîchage. Elles sensibilisent les autres. « Lors de nos petites causeries, nous avons jugé utile de nous rapprocher des jeunes femmes mariées qui s'installent dans notre quartier et de leur parler des bienfaits de la terre. Certaines pensent que cultiver la terre est synonyme de pauvreté. Nous voulons combattre cette idée », soutient Adeline Manouet.
Certaines comme Odette Kougang, 43 ans, se sont même spécialisées dans la mise en place des jardins potagers. Cette maraichère en activité depuis 15 ans, prêche par l’exemple. Non loin de son domicile, elle cultive maïs, légumes, melons et kelen kelen. « J'aide mes copines qui veulent se lancer dans l'agriculture à bien former les bions, nettoyer leur espace potager et bien appliquer les semences », détaille l’experte, sourire aux lèvres, en récoltant les épis de maïs à maturité.
Et pour celles qui n’ont pas d'espace ? « Il faut tout simplement chercher les vieux sceaux, y enfouir la terre noire et semer. Il ne faut pas de gros moyens pour commencer. Juste la terre noire », martèle-t-elle régulièrement. Pour Adeline Manouet, sur un petit espace, « tu peux mettre de la terre noire dans les petits pots et semer tranquillement tes graines. Il faut juste les arroser tous les jours et ajouter un peu de fiente. C'est tout ».
Amélie Dita