« Chercheuses d’Afrique » : notre série consacrée aux scientifiques africaines
Introduction. Parasitologue, physicienne, entomologiste… chaque mois, Agripreneurs d’Afrique vous raconte le parcours de ces femmes qui, malgré les difficultés, utilisent la science pour résoudre les probèmes du continent.
Lorsque Patricia Doumbe Belisse obtient son baccalauréat scientifique, sa joie est de courte durée. Très vite, ses parents lui expliquent comment ils envisagent la suite de sa vie éducative. Une formation professionnelle qui pourra alors lui permettre de devenir financièrement independante et de prendre soin d’eux ainsi que de ses cadets. Pas question donc de poursuivre de longues études de médecine, rêve que nourrit pourtant la jeune bachelière.
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Malgré les pressions, Patricia s’entête et ne lâche rien. Après deux échecs au concours d’entrée en école de médecine, elle s’inscrit à la faculté des sciences de l’université de Yaoundé I, dans la capitale du Cameroun.
Durant son cycle de master, Patricia Doumbe Belisse découvre un domaine qui allie parfaitement sa passion pour la santé publique et les sciences: la parasitologie. Elle choisit de se focaliser sur les maladies transmives par les moustiques, ce qui lui permet d’être en contact direct avec les communautés durant son travail de recherche.
34% des chercheurs sont des femmes
Sur le plan familial par contre, Patricia Doumbe Belisse est isolée. Ses parents ne comprennent pas pourquoi elle quitte la maison tôt, rentre tard et ne participe pas régulièrement aux travaux ménagers. « Conduire la recherche était un challenge parce que je n’ai réçu aucun soutien d’eux », se souvient celle qui finira par obtenir son doctorat en parasitologie et écologie.
Dr Patricia Doumbe a depuis rejoint le département de biologie vectorielle de la Liverpool School of Tropical Medicine où elle travaille sur le projet de lutte contre l'émergence d'Anopheles stephensi au Soudan et en Éthiopie (Controlling the Emerging Anopheles stephensi in Sudan and Ethiopia) en tant que chercheuse associée.
L’histoire de cette entomologiste médicale est la norme plutôt que l’exception dans de nombreux pays africains où le chemin vers la recherche est parsémé d’inombrables difficultés pour les femmes. D’après la Banque africaine de développement (Bad), 34% des chercheurs sont des femmes en Afrique. Un chiffre qui cache en réalité de « grandes disparités » à travers le continent. Au Cap-Vert par exemple, 52 % des chercheurs sont des femmes, 47 % le sont en Tunisie, et 40 % en Afrique du Sud et en Ouganda. « La Guinée se situe à l’autre extrémité avec seulement 6 % de femmes parmi les chercheurs », note la Bad.
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Dans certaines régions comme l’Afrique centrale, la situation est alarmante: 3,4% au Tchad; 9,8% en Guinée Equatoriale; 8,7% en République démocratique du Congo contre 12,8% au Congo voisin. Pour le professeur Francine Ntoumi, les stéréotypes bloquent l’évolution des femmes dans les sciences.
Malgré les statistiques qui montrent que les jeunes filles obtiennent le plus souvent les meilleurs résultats lors de leurs études primaires et secondaires, « plus on va vers le doctorat, moins les femmes sont présentes », confie à Agripreneurs d’Afrique la parasitologue.
« La femme ne doit pas être ambitieuse »
Car les stériotypes sont fermement ancrés dans les sociétés africaines: la femme à un certain âge doit se marier, avoir une vie de famille, s’occuper en priorité de son foyer et pas de sa carrière professionnelle. « Ensuite la femme ne doit pas être ambitieuse, poursuit avec regret le professeur Francine Ntoumi. Pour une femme c’est negatif. Une femme qui fait de longues études, c’est une femme qui a échoué dans sa vie personnelle ». Face à ces blocages, celles qui s’engagent et réussissent surmontent de nombreux obstacles.
La recherche en elle-même est déjà largement sous-financée sur le continent. L’Union africaine recommande à ses membres d’investir au moins 1% de leur Produit intérieur brut dans la récherche et l’innovation. Mais, selon une analyse réalisée en 2019 sur la base des données recueillies dans 11 pays africains, seuls le Kenya (0,98%) et l’Afrique du sud (0,82%) étaient proches de l’objectif. Conséquence, l’Afrique est à la traîne dans l’innovation.
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La moyenne de chercheurs par million d’habitants est de 1478 (Unesco). En 2015 par exemple, seule la Tunisie avait excédé cette limite. « Pour la majorité des pays en Afrique sub-Saharienne, la moyenne de chercheurs par million d’habitants est moins de 50 », s’alarmait une étude en 2022. Dans ce contexte, la femme part avec un handicap de poids dans une société où les jeunes garçons et les hommes sont beaucoup plus mis en avant.
« Tu n’as pas de statut »
Interrogées par Agripreneurs d’Afrique, des chercheuses de la Tanzanie au Cameroun en passant par l’Afrique du sud ou encore la République démocratique du Congo le confirment: méner la recherche en tant que femme sur le continent est un « challenge ». « Tu travailles dans un environnement où l'on te regarde comme jeune, femme, noire...», s'exaspère Dr Muthumuni Managa depuis le Cap. Soupir : « tu n’as pas de statut ». Opinion que partagent plusieurs de ses consoeurs.
Dans une étude détaillée parue en 2020 sur la situation des femmes chercheuses en Afrique de l’ouest, quatre thèmes associés aux obstacles au développement de leur carrière reviennent en boucle. Sans surprise, les problèmes liés à la famille arrivent en tête. Les normes de genre qui attribuent aux femmes des tâches et des responsabilités domestiques réduisent le temps qu'elles peuvent consacrer à la recherche.
Viennent ensuite la culture organisationnelle et les politiques institutionnelles insensibles au genre, ce qui accentue les disparités entre les hommes et les femmes et rend plus difficile l'accès des femmes aux postes de direction.
Discrimination
En troisième position, il y a la nécessité pour les femmes dans la recherche de suivre des programmes d'émancipation afin de renforcer leur résilience et leur capacité à prendre des décisions critiques, car les approches stratégiques visant à relever les défis auxquels sont confrontées les femmes dans le monde universitaire sont beaucoup plus axées sur leur relation avec leur conjoint.
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Et enfin, la perception intermédiaire individuelle de la réussite professionnelle et personnelle: les femmes chercheuses se considèrent aussi compétentes que leurs homologues masculins et ne devraient pas faire l'objet de la discrimination fondée sur le sexe qu'elles subissent.
« Les femmes scientifiques n'attendent pas d'être secourues. Nous faisons déjà le travail, tempête Cesilia Mambile, chercheuse et maître de conférences à l'université de Dodoma en Tanzanie. Ce dont nous avons besoin, c'est que notre contribution soit reconnue, financée et intégrée dans les politiques ». En attendant, chaque mois, Agripreneurs d'Afrique vous racontera les parcours inspirants, singuliers et passionnants de ces femmes qui utilisent la science pour résoudre les problèmes du continent.
Épisode 1: Professeur Francine Ntoumi et la passion pour la Science
Épisode 2: Cesilia Mambile uses AI to combat Forest-fire
Josiane Kouagheu