À l’Ouest du Cameroun, une passion pour les pommes de Chine

Sa culture y est encore embryonnaire. Mais Giresse Paulin Ngoufo, jeune entrepreneur agricole, est engagé dans la vulgarisation de ce fruit aux nombreuses vertus nutritionnelles et médicinales.
Au marché hebdomadaire de Baleveng, localité située à l’ouest du Cameroun, les clients affluent devant une bâche étalée à même le sol. Ils sont d’abord étonnés face aux étranges fruits de couleur verte que vend Giresse Paulin Ngoufo, à 100 Francs CFA l’unité. Poussés par la curiosité, certains en achètent. Et, enfin, ils dégustent.
« Le goût est très particulier. Je n’ai jamais vu ce fruit auparavant. Je le découvre pour la première fois. C’est un délicieux fruit », lâche Wilson Vokeng, un client, après l’avoir consommé. « Ce fruit vient de quel pays?», demande par la suite le trentenaire au teint d’ébène. « Il est cultivé à Baleveng », lui rétorque le jeune entrepreneur, déterminé à vulgariser la culture des pommes dites de Chine dans son bourg et à travers le pays.
Contre le diabète
Encore méconnu du grand public, ce fruit est pourtant prisé par certains camerounais. D’après l’Institut national de la statistique, le pays a importé 18 728 tonnes de pommes en 2022. Mais, à Baleveng comme dans de nombreuses localités réculées, seuls les connaisseurs s’y intéressent. « Mon objectif est de faire découvrir ce produit. C’est important de le vulgariser pour susciter sa culture dans tout le pays et ailleurs », insiste Giresse Paulin Ngoufo qui s’est lancé après l’avoir dégusté lors de son stage professionnel, dans le cadre de sa formation dans l’entreprenariat agricole durant la période 2019-2020.
À l’époque, cet ingénieur des travaux agricoles, spécialisé en productions végétales et diplômé de l’Ecole nationale polytechnique de Maroua en 2018, se demande pourquoi ces pommes ne sont pas disponibles sur le marché local. C’est ainsi qu’il se documente à travers des plateformes numériques. Giresse Paulin découvre alors les vertus nutritionnelles et médicinales de ces fruits cultivés depuis la préhistoire sur les plateaux d’Asie centrale, aux confins de la Chine. D’après plusieurs études scientifiques, la consommation régulière de certains fruits entiers comme la pomme prévient même le risque de contracter le diabète de type 2.
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Le jeune entrepreneur âgé de 30 ans décide donc de se lancer en 2021 dans la production de ce fruit avec pour but d’aider son père diabetique. Il commence sur de petites parcelles de terre. Durant cette phase expérimentale, il distribue la récolte à ses proches qui apprécient. Il effectue surtout des tests sur son paternel, afin de s’assurer de la véracité des bienfaits sur la santé.
500 000 Francs CFA
«Il les a consommées pendant quelque temps. Et lorsqu’il prenait ses paramètres, il m’a rassuré que ce fruit agissait véritablement sur lui. Lors des rendez-vous à l’hôpital, sa glycémie s'était stabilisée », se souvient Giresse Paulin Ngoufo qui encourage dans la foulée d’autres hommes atteints de la même maladie à consommer ses pommes. Leurs témoignages sont unanimes. Les résultats sont conformes à ceux de son géniteur: la consommation régulière du «fruit miracle» régule leur glycémie. Il décide de se lancer «corps et âme» et de «capitaliser l’expérience client ».

Sur 600 mètres carrés, l’agriculteur plante 1400 plants. Il récolte plus de 400 Kilogrammes vendus à 2000 Francs CFA le kg. Bien qu’il soit difficile pour lui d’établir le bilan financier de son activité, Giresse Paulin Ngoufo confie avoir gagné 500 000 Francs CFA en 2024. Sur les réseaux sociaux, l’ingénieur des travaux agricoles focalise sa communication sur les vertus de ses « pommes de Baleveng » pour attirer le grand nombre. « C’est ainsi que je trouve mon marché. Je vends plus dans les villes comme Douala et Yaoundé. Ces clients me suivent en ligne », précise-t-il. Sur le plan local, les jours de marché, il fait découvrir son produit à tous.
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Mais sa clientèle n’est encore constituée à majorité que de personnes ayant un «problème de santé». Ce qui l’embête et le galvanise en même temps. Car l’ambition de ce père de trois enfants est grande. Giresse Paulin Ngoufo produit et commercialise déjà ses propres semences, ce qui réduit drastiquement ses dépenses. Des stelons qu’il obtient à partir des plants déjà en phase de production. Ce sont d’ailleurs ces « tiges » qu’il repique sur les nouveaux espaces choisis pour la production de ses pommes. « J’apporte juste du compost. Je dépense seulement pour le transport », explique-t-il.
Exportation
Bien plus, sans perte post-récolte du fait que les récoltes se font à la suite des commandes, l’entrepreneur agricole ambitionne de produire dans les prochaines années sur une surface d’un hectare. Ce qui, d’après ses propres estimations, pourra lui rapporter 80 millions de Francs CFA. Une «production complexe» qui nécessitera plus de travail et un système d’irrigation adéquat qui lui fait défaut actuellement et le contraint à limiter sa production à la saison pluvieuse.
En attendant, Giresse Paulin se mobilise pour la vulgarisation de cette culture qu’il souhaite aussi connue que celle de la tomate. Il partage sa passion à tous. Et clients et ingénieurs s’y intéressent et investissent. Attiré par la communication faite sur les réseaux sociaux, Aboll Lontio Melassi a d’ailleurs fait le déplacement pour se procurer des stelons. « Au niveau de la production, nous avons de très bons rendements. Généralement avec les produits biologiques, on réussit à produire sans passer par les intrants chimiques », dit cet étudiant en production végétale à Mbouda dans les Bamboutos.
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Le jeune homme âgé de 20 ans rêve de constituer «un grand cheptel» dans les prochaines années et de développer « [notre] propre circuit de marché ». « Ces plantes résistent aussi aux maladies fongiques (…) Le coût de production est moins élevé. Par conséquent, les revenus sont importants», souligne-t-il. Une fois de retour, Aboll Lontio Melassi plantera les boutures achetées chez Giresse Paulin Ngoufo qui de son côté rêve d’exporter ses pommes de Baleveng dans d’autres pays. « Il ne faut pas avoir peur de l’échec. Il faut simplement éviter de répercuter les mêmes erreurs», martèle-t-il.
Aurélien Kanouo Kouénéyé