Au Nord du Cameroun, les producteurs de riz se réunissent pour se protéger

Accès à la terre, cherté des intrants agricoles, impact des changements climatiques… Au sein de la coopérative Kalsendi, les riziculteurs mutualisent leurs forces.
Luc Galama observe, heureux, son champ d’un hectare de riz « nérica 3 » à Kismatari, un village situé dans l’arrondissement de Garoua 3ème, région du Nord du Cameroun. Ce riziculteur âgé de 56 ans a obtenu cette espèce de semence à l’Institut de recherche agricole pour le développement (Irad). Un don rentrant dans le cadre des partenariats avec le Projet d’appui au développement des filières agricoles (Padfa II, un programme gouvernemental), financé par le Fonds international de développement agricole (Fida). L’allure des épis de riz augure un bon rendement, selon le producteur.
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Comme Luc, à Kismatari, 119 agriculteurs se sont réunis autour de la coopérative Kalsendi créée en 2012 et spécialisée dans la production du riz et semences. Ils cultivent à majorité le riz nérika L3 et L36, variétés vulgarisées par l’Irad dans la localité. C’est d’ailleurs cette dernière espèce, gourmande en eau, qu’Ange Florence a choisi et expérimente sur un quart d’hectare. « La différence entre le riz nérika L3 et L36 est que le premier est directement semé dans le sol et n’aime pas trop d’eau alors que le second aime beaucoup et doit se faire par repiquage de la pépinière », explique l’agricultrice par ailleurs facilitatrice à Kalsendi.
Pertes post-récoltes
Mais, pour obtenir un bon rendement, au-delà de la pépinière, les producteurs doivent respecter de nombreuses étapes : choix de la parcelle qui peut être un bas-fond (zone de marécage propice à la culture du riz), préparation du champ, obtention des semences améliorées et utilisation des intrants agricoles tels que l’engrais, l’urée et les herbicides. « Il faut quatre sacs d’engrais et deux sacs d’urée par hectare», précise Luc Galama qui souligne que la dernière phase est constituée de la moissonnerie, du tapage (pour extraire les graines) et de la mise en magasin dans des sacs de 80kg.
Une phase délicate. « Pour éviter les pertes post-récoltes, il ne faut pas laisser le riz sécher avant de le moissonner », conseille Ange Florence. L’agricultrice assure que, bien respectée, pour un hectare, le riziculteur peut alors obtenir une production de quatre à six tonnes. Car, les pertes post-récoltes surviennent également lors du tapage.
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Par le passé, les producteurs le faisaient à même le sol. Sur dix sacs récoltés par exemple, ils en perdaient deux. Grâce aux matériels de tapage (bâches) et de transport (tricycles) offerts par leurs partenaires, les pertes post-récoltes ont été réduites à moins de la moitié d’un sac pour 10 obtenus.
A Garoua, selon la période, le prix d’un sac de 80 kg de riz varie entre 10 000 F Cfa et 20 000 F Cfa. Mais, ces trois dernières années, la coopérative Kalsendi a évolué en dent de scie. De 2020 à 2022, la production de semence de riz a atteint le cap de 244 tonnes pour un revenu global après-vente de plus de 280 millions de F Cfa. Pour l’année 2023, la production globale attendue est de 200 tonnes. Quelle est la production de riz de la coopérative?
Intermédiaires
Hormis cette chute de production, les riziculteurs rencontrent de nombreuses difficultés : l’accès à la terre, la cherté des intrants agricoles, les changements climatiques qui entrainent des catastrophes naturelles telles que les inondations ou le départ précoce des pluies. Au niveau de l’écoulement de leurs produits, une barrière se dresse encore sur leur chemin : le phénomène d’intermédiaires, ces commerçants qui parcourent les campagnes et achètent, à moindre coût, les récoltes afin de les revendre plus chères. Une raison qui a poussé la coopérative Kalsendi et ses membres à stocker ensemble leur production dans le magasin de la coopérative afin de revendre un plus cher le moment venu.
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D’après le ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader), la région du Nord a produit 130 000 tonnes de riz en 2022 contre 145 000 tonnes en 2021. Une baisse répertoriée au niveau nationale. Selon le comité de compétitivité du ministère de l’économie, de la planification et de l’aménagement du territoire, le Cameroun a importé 845 000 tonnes de riz en 2022, contre 776 600 en 2021, soit une augmentation de l’ordre de 10%.
Jérôme Baïmélé