Au nord du Cameroun, le spectre de l’insécurité alimentaire plane
Plus de 20 000 hectares de sorgho ont été dévastés par des chenilles légionnaires dans les régions du Nord et de l’Extrême-Nord entre 2022 et 2023.
Halima n’arrive toujours pas à y croire. La mine défaite, cette mère de trois enfants venue acheter du sorgho au marché du quartier Camp chinois à Garoua, capitale de la région du Nord du Cameroun, est surprise devant le prix affiché du sac de 100 kilogrammes, passé de 12 000 Francs Cfa à 19 000 F Cfa. « C’est pourtant le temps des récoltes des céréales », s’indigne-t-elle. Si cette trentenaire se retrouve dans cet espace marchand, c’est tout simplement parce que sa propre récolte n’a pas été bonne. L’agricultrice a perdu deux hectares de champ de sorgho, dévasté en grande partie par des chenilles légionnaires d’automne. Et Halima n’est pas la seule.
D’après le ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader), en 2022, plus de 20 000 hectares de sorgho ont été détruits par ces insectes ravageurs dans les régions de l’Extrême-Nord et du Nord. Présents au Cameroun depuis 2016, ces chenilles qui attaquent « en particulier » le « mouskouwari » (nom local du sorgho) et le maïs, constituent « une menace de premier plan pour la sécurité alimentaire », note le Programme des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Insécurité alimentaire
Dans la partie septentrionale regroupant trois régions classées parmi les plus pauvres du pays, la population se nourrit principalement des céréales. Avec les mauvais rendements, plane le spectre de l’insécurité alimentaire. Sur les marchés, les prix ont flambé. La tasse de maïs est ainsi passée à 350 F CFa, contre 250 F Cfa à la même période l’année dernière. Les habitants rencontrés par Agripreneurs d’Afrique ne cachent pas leur inquiétude. C’est le cas de Mahoundé Bouba qui a perdu le sommeil. A la tête d’une famille élargie de plus de 15 personnes, cet homme peine à les nourrir. Car, la hausse des prix impacte d’autres secteurs : de la nutrition aux loisirs. Les clients d’Adda Matta se plaignent par exemple de la diminution des quantités de « Bilibili », bière artisanale très prisée, faite à base de sorgho et de mil. Dans le cabaret commun qu’elle tient avec d'autres vendeuses, les consommateurs se font rares.
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Pour les autorités, le plus urgent reste de trouver des solutions à la crise agricole que vivent en amont les agriculteurs. D'après Aimé Djouldé Dalla, chef de base phytosanitaire de l’Extrême-Nord, sur le terrain, plusieurs formations sont dispensées, notamment sur l’utilisation « responsable » des pesticides. De son côté, le Programme des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture a noué des partenariats avec le gouvernement et universités camerounais afin de lutter contre les chenilles via, entre autres, les essais scientifiques. Le but est de réduire de « 5 à 10% » les pertes de production.
A l’université de Douala, dans la capitale économique, des scientifiques misent sur des « méthodes alternatives ». Ils font des essais sur des extraits de plantes telles le Vernonia amygdalina communément appelé « ndolé » ; Tithonia diversifolia ou « fleur jalousie »… pouvant être appliqués sur les plants de maïs ou de sorgho attaqués.
En attendant les résultats de ces expérimentations, les agriculteurs accumulent les pertes. Les insectes ravageurs ont visité plusieurs fois le champ de sorgho de Richard Djondi, 49 ans. « Pour un hectare, j’ai seulement récolté cinq sacs, alors que je récoltais plus d’une dizaine les années précédentes », se lamente ce père de sept enfants, vivant dans la localité de Yagoua à l’Extrême-Nord. Pour lui comme pour les autres fermiers, le futur semble hypothéqué par la présence des chenilles légionnaires d’automne.
Jérôme Baïmélé