La production de la canne à sucre piétine à l’Est du Cameroun
Malgré l’existence des zones propices à cette culture et la forte demande sur le marché local, la production reste au stade embryonnaire du fait de l’absence de vulgarisation. En plus, les grands projets de production et transformation de la canne à sucre pour ravitailler la zone Cemac annoncés par des privés tardent à démarrer.
Pour joindre les deux bouts au quotidien, Pauline Dimnyui, une déplacée interne de la crise anglophone âgée d’une trentaine d'années, a créé un espace de vente de produits alimentaires dans la ville de Bertoua, capitale de la région de l’Est Cameroun. Parmi les produits les plus rentables, figure la canne à sucre. « Des 24 tiges de 3 mètres que j’ai achetées à 250 F Cfa dans la matinée, il n’en reste que 8. J’ai vendu chaque tige à 400 F Cfa en réalisant un bénéfice de 150 F Cfa par tige», explique cette vendeuse, qui regrette néanmoins, la rareté de cette plante sur le marché.
Comme elle, Simon Bella, un commerçant d’une quarantaine d'années dans la même ville, vit la même expérience. « Je commercialise la canne à sucre depuis 2 ans. Les élèves sont les principaux consommateurs parce qu’elle donne de l’énergie. C’est une activité rentable pendant la période de classe et dans les milieux sportifs. Une tige de canne achetée à 100 F Cfa, peut-être revendue à 200 F Cfa», explique-t-il. Seulement relève Simon Bella, « le ravitaillement du marché n’est pas constant à cause du mauvais état des routes entre les producteurs et la ville de Bertoua, les feux de brousse qui détruisent les plantes en saison sèche et la déforestation qui rend le sol sec et inapproprié à la culture ».
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Jean Jonas Aloma, la quarantaine révolue, est un producteur établi à Bouam, situé à 30 kilomètres de Bertoua. Il est pour l’instant l’unique fournisseur de la canne à sucre au marché de Nkolbikon et de Belabo. « J’ai fait cinq ans dans la culture de la canne à sucre. J’ai commencé avec deux hectares et actuellement j’exploite six hectares», indique-t-il. Selon ce producteur, «la culture de canne à sucre, bien que rentable, est encore très peu développée à l’Est Cameroun».
Une situation qui peut s’expliquer par le manque d’engouement des agriculteurs par rapport à cette spéculation. « Après les semis, il faut attendre au moins six mois pour que les cannes atteignent la maturité. Donc à cause de la pauvreté, les cultivateurs préfèrent les produits saisonniers comme le maïs, les légumes et les arachides».
Absence de vulgarisation
Malgré l’existence des zones propices à cette culture et la forte demande sur le marché local, la production est encore au stade embryonnaire. « La canne à sucre est un produit comme le maïs. La région de l’Est Cameroun est dans la zone agro-écologique à pluviométrie bimodale (deux saisons de production par an) dont les cultures les plus connues et produites sont entre autres le maïs, le manioc, la banane-plantain, les arachides et les cultures telles que le palmier à huile, le cacao entre autres. La canne à sucre quant à elle est un produit dont le cycle de production dépend des ambitions du producteur. Mais d’une façon générale, la région de l’Est Cameroun dans sa globalité, de part son climat, la structure de son sous-sol, est l’une des régions les plus propices à la production de la canne à sucre », affirme Charly Mogba, technicien supérieur d’agriculture.
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A en croire ce consultant basé à Bertoua, la canne à sucre ne fait pas partie des habitudes alimentaires des populations de cette région, ce qui pourrait expliquer sa sous-production. « La canne à sucre est un produit qui ne rentre pas dans les traditions des populations locales, en outre, la création des grandes plantations peut provoquer la destruction des grands espaces forestiers. Plus grave, au niveau de la vulgarisation des chaînes de valeurs agricoles par le ministère de l’Agriculture et du développement rural (Minader), la canne à sucre n’occupe pas une place de choix », relève-t-il. Un constat confirmé au niveau de la délégation régionale du Minader de l’Est. « Il existe plusieurs programmes de vulgarisation des produits agricoles tels que la banane-plantain, le maïs, le cacao, etc. mais jusqu’à date, il n’existe aucun programme consacré à la canne à sucre », déclare Emmanuel Doko, ingénieur agronome.
Des grands projets à la traîne
Pour profiter des avantages que présente le sous-sol de l’Est, des entreprises privées ont initié des projets de production et de transformation de la canne à sucre. La première initiative est celle de Justin Sugar Mills dans l’interzone Bertoua-Batouri. D’après son promoteur, Dieudonné Dong Thry Dong qui s’exprimait en 2014, « Justin Sugar Mills est un projet de développement de la région de l’Est qui va créer 17.000 emplois ». Pour un coût estimatif de 60 milliards de F Cfa avec la participation au capital social de 11 communes de l’Est. Le projet est une collaboration synergique entre une plantation de 20 747 hectares de canne à sucre et une usine d’une capacité de broyage qui varie entre 4000 à 6000 tonnes de cannes par jour. Sa capacité de production annuelle est de 132 000 extensible à 180 000 tonnes de sucre contre une demande évaluée à 150 000 tonnes par an.
Par ailleurs, JSM S.A devrait produire 13 500 000 litres d'éthanol, 12 000 tonnes de bio fertilisants et 16 mégawatts d’électricité par cogénération et le complexe devrait être construit sur deux sites à savoir Tikondi et Bodongoué. En plus de la création de 5000 emplois directs permanents et 12 500 emplois indirects de 9 mois par an, le projet envisageait la mise sur pied d’un fonds de développement pour la région de l’Est. Malheureusement à date, le démarrage de l’usine qui était prévu pour 2014 est toujours attendu. Sur le terrain, les infrastructures et les premières plantations sont tombées en ruines.
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La deuxième initiative est celle d’Orient Sugar and Industrie SA (OSI). Il s’agit d’un complexe agro-industriel qui envisage produire 10.000 hectares du maïs et soja, 5000 hectares du piment et 15.000 hectares de la Stévia pour la production du sucre dans l’interzone de production agricole Dimako-Nguelebog. « Nous sommes fiers de l’arrivée de ce projet. Les enfants du village travaillent déjà dans les plantations de maïs et du piment. Avec l’aide de Dieu, nous allons sortir de la pauvreté et du sous-développement », avait indiqué Martin Nyengue, cultivateur et premier notable du village Kandala 1 à Dimako en 2017 lors d’une visite du site par l’autorité administrative locale.
Aux dernières nouvelles, Samuel Essome, directeur général d’OSI SA a affirmé le 19 septembre 2023 que « plusieurs plantations de canne à sucre ont été mises sur pied et les machines pour les unités de transformation sont en route depuis l’Inde».
Sébastian Chi Elvido