Financement: le parcours de combattant des petits producteurs
«Contrat de confiance», auto financement, sont entre autres stratégies qu’ont trouvé les jeunes entrepreneurs agricoles pour faire face à l’inévitable obstacle financier qui se dresse sur le chemin de leur rêve.
Debout dans son stand à la Foire Internationale des Affaires et du Commerce (FIAC), - une plateforme d’exposition pour les produits made in Cameroun-, Gaëtan Kouesseu, paraît fatigué, le visage suant parfois. Devant lui, une dizaine de visiteurs attendent d’être servir. Le promoteur du projet Cassava Dream’s, expert en transformation biotechnologique, n’en revient pas de la forte demande de son pain fait à base de la farine de manioc. Pour satisfaire ses clients, il limite la demande à maximum cinq pains par personne. « Une amie m’a fait gouter à ce pain et je l’ai trouvé délicieux», déclare Carine, un acheteur debout dans les rangs.
Avant cette foire, Gaëtan était très peu connu des consommateurs. En moins de trois jours, il est passé de 5 mille à 50 mille pains de production journalière. « La plus-value de cette farine est qu'elle ne contient pas de gluten. Donc, elle est plus digeste réduisant ainsi les risques d'appendicite et de prise de poids », explique-t-il à ses clients. Participer à cette exposition, est l’occasion pour cet entrepreneur, de nouer des partenariats, de trouver des investisseurs pour combler ses besoins financiers. Avec une dizaine de millions F Cfa réunie pour un début, ce Camerounais sollicite un appui gouvernemental pour développer son industrie.
« Nous avons besoin de beaucoup d’argent. Des relations d’affaires ont été établies, des commandes passées et de nombreux contrats à concrétiser, notamment avec des structures de la sous-région qui ont apprécié nos productions, issus de la transformation du manioc », dit-il. Le projet Cassava Dream’s propose une gamme variée de produits alimentaires et cosmétiques à base de manioc, issu de leur ferme.
La réticence du privé
Tourné vers l’Etat, Gaëtan Kouesseu espère satisfaire un besoin financier qu’il n’a comblé dans le privé malgré ses multiples démarches. Pour se développer, cet entrepreneur réinjecte ses revenus dans son capital. Selon, un banquier qui a requis l’anonymat, les banques camerounaises préfèrent financer les agro-industries que les petits producteurs. Qui généralement, ne disposent pas des garanties exigées, bien que représentant plus de 80% du secteur agricole.
La déception avec les banques, Michael Tchasso, producteur du champignon, l’a vécu plusieurs fois. «J’avais un projet déjà bien élaboré,confie-t-il,mais je n’ai jamais trouvé de financement au niveau des banques. Je me suis tourné vers le programme d’Amélioration de la Compétitivité des Exploitations Familiales Agropastorales (Acefa), les conditions de disposer un terrain et un compte bancaire ne m’ont pas été favorables ». C’est finalement avec sa bourse de 50 000 F Cfa - une prime remise aux meilleurs étudiants par le chef d’Etat- que cet étudiant de l’Université de Dschang a démarré sa champignonnière.
A en croire David Kengne, expert en microfinance et micro entreprise, le problème d’accès au financement s’étend dans tous les domaines d’activités au Cameroun. Selon cet expert, les raisons pour lesquelles les banques et les établissements de microfinance sont frileuses à accompagner les promoteurs agricoles sont entre autres la faible maîtrise du profil des promoteurs intervenant dans ce secteur, la faible maîtrise des aléas climatiques, l’indisponibilité des instruments financiers pouvant rassurer les institutions financières en cas de survenance des cas de force majeure qui compromettent le remboursement des crédits tels que les fonds de garantie, les assurances agricoles et autres.
« Le Cameroun est l’un des rares pays très actifs dans l’agriculture et où les Compagnies d’assurance n’offrent aucun produit spécifique destiné à couvrir les pertes survenues à la suite de calamité naturelle ou simplement de changement climatique. A côté de tout ceci, il faut mentionner en bonne place la culture de non remboursement de crédit par les paysans qui confondent toujours le crédit qui est remboursable aux subventions qui ne sont pas remboursables », souligne David Kengne.
Appui gouvernemental
Il existe, explique le délégué régional de l’agriculture et du développement rural pour le Littoral, Jean Claude Konde, plusieurs dispositifs d'accompagnement financier et de nouveaux programmes proposés aux jeunes par le gouvernement. « Pour lancer ma culture de maïs, j’ai obtenu de la délégation départemental des semences améliorées et des conseils techniques, mais sans argent», affirme Gertrude, jeune agricultrice. Cet accompagnement commence par l’encadrement technique accordé gratuitement à tout porteur de projet, l’octroi des intrants et parfois l’appui financier.
« La plupart des jeunes se lancent sans toutefois avoir un projet réaliste », déploie-t-il. Depuis 11 ans, le ministère de l’Agriculture a initié le Programme d’appui à l’installation des jeunes agriculteurs (PAIJA), financé à hauteur d’un milliard F Cfa en 2017, pour l’installation des jeunes dans l’agriculture.
Au mois d’avril 2017, le gouvernement camerounais a officiellement lancé le Projet de développement des chaines de valeurs agricoles (PD-CVA). Financé à 77% par la Banque africaine de développement et 21,5% par l’Etat du Cameroun, d’un coût global de 75 milliards F Cfa. D’une durée de 5ans, son objectif est d’assurer la sécurité alimentaire dans les filières banane plantain, huile de palme et ananas.
Depuis 2010, la Banque mondiale, accompagne le Cameroun dans le Projet d’amélioration de la compétitivité agricole (PACA) et d'investissement et de développement des marchés agricoles(PIDMA). Avec une enveloppe de près 50 milliards F Cfa sur une période de 7 ans, le PACA a pour objectif de booster la productivité agricole, grâce à des investissements dans les filières porteuses.
Déficit de communication
Cependant, il ne suffit pas de penser à un projet pour bénéficier des fonds. « Il faut que les jeunes soient déjà opérationnels. S’ils n’ont pas reçu l’appui du technicien ce n’est pas évident. Quand il s’agit de la production agricole il faut forcement le soutien d’un agent technique pour élaborer un plan réalisable », affirme Jean Claude Konde. Le montant des subventions varie en fonction du projet et peut aller au-delà d’un million F Cfa. Il est impossible, dit-il, pour un entrepreneur de compter exclusivement sur l’appui du secteur public sans l’accompagnement du privé.
Cette panoplie de programmes d’aide aux agriculteurs est très peu connue des exploitants agricoles en zone rurale, qui représentent 57% de la population pauvre. A Kindjing Djiabi, un village d’environ 1400 âmes, situé dans la commune de Makénéné, dans la région du Centre, à 95% agricole, l’univers agricole est tout autre.« Comme tous les villages du Cameroun, le nôtre manque d’eau potable, d’électricité et surtout de route. C’est notre principale difficulté pour écouler nos produits. Si on avait une bonne route bitumée, les choses iront mieux», regrette le chef du village, David Kinding Ndjabi. Les agriculteurs de ce grenier agricole, (riz, cacao, légumes, fruits), à défaut de disposer des institutions financières, ont développé une stratégie de préfinancement.
Prêt auprès des grossistes
Une initiative baptisée « contrat de confiance » avec les grossistes. Ce partenariat permet aux acheteurs de préfinancer une campagne agricole, et d’être prioritairement servis à la récolte. « Pour produire un hectare de tomates, si j’ai besoin de deux millions de F Cfa minimum. Ne pouvant pas disposer de ce montant, je fais appel à un grossiste qui me fait un prêt. Pendant la récolte en fonction des termes du contrat, il a doit à la grande partie de la production à un coût avantageux», explique Anderson Akweh, un cultivateur.
Pour l’expert en microfinance et micro-entreprise, l’Etat doit accentuer ses efforts en mettant en place des conditions incitatives au financement des jeunes notamment par des lois permettant l’introduction des instruments financiers adaptés au financement agricole comme le warrantage, le micro leasing, le retro leasing, l’affacturage agricole, l’agriculture contractuel, les tribunaux alternatifs, le crédit bureau.
De même, l’Etat devra protéger les petites entreprises agricoles nationales, en limitant les importations dans certains domaines. Ces mêmes lois devront limiter le pourcentage des matières premières importées et qui rentreront dans la transformation des produits agricoles locaux, comporter des dispositions flexibles qui permettent aux banques et établissements de microfinance, de pouvoir recouvrer rapidement les fonds prêtés.
Par ailleurs, l’Etat doit également combattre la corruption au sein des tribunaux publics en fixant notamment des délais pour vider des procédures commerciales introduites par les institutions financières auprès des instances judiciaires. Les banques et établissements de microfinance doivent à leur tour développer des produits financiers adaptés aux activités agricoles et pastorales.
« Les jeunes promoteurs de leur côté doivent montrer leur volonté de travailler pour rembourser le crédit. Car de nos jours, plusieurs jeunes soumettent des dossiers de demande de crédit dans divers domaines. Lorsque les fonds sont décaissés, ils les utilisent pour payer leur caution auprès des ambassades européennes et s’expatrier à l’étranger pensant y trouver le mieux-être », conclut cet expert.
Marie Louise Mamgue