Cameroun: où en-est la banque agricole, sept ans après?
Episode1 de notre série sur les promesses (agricoles) présidentielles. En pleine campagne électorale en 2011, Paul Biya, président de la république depuis 36 ans faisait cette grande promesse. A-t-elle été tenue ? Agri Check a vérifié pour vous.
En cet après-midi ensoleillé du mois d’août, Mireille, son mari et ses voisins, vêtus de vêtements en pagne aux couleurs du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), chantent à tue-tête à l’esplanade de la salle de fête de Ngomedzap, village de la région du Centre du Cameroun.
A l’occasion du lancement de la campagne cacaoyère 2018-2019, trois hautes personnalités y sont attendues: le ministre du commerce, celui du Travail et la ministre déléguée auprès du ministre de l’Agriculture et du développement rural.
A deux mois de l’élection présidentielle prévue le 7 octobre 2018, le bourg, qui vit essentiellement de l’agriculture, compte profiter de cette visite pour présenter ses doléances.
« L’une de nos principales difficultés reste l’accès aux financements »
« On va leur demander de nous aider à mieux vivre de l’agriculture», commence Mireille, la quarantaine sonnée, les deux mains sur les hanches. « Non ! Non ! On va leur dire que s’ils ne nous aident pas avec les financements, on va pas voter pour Paul Biya », l’interrompt son mari, le ton plein de colère. « On a voté pour eux. On vote depuis plus de 30 ans pour eux. A chaque élection, ils promettent mais, rien ne se réalise », embraie près de lui, un homme sec, barbe de plusieurs jours, vêtu d’un t-shirt à l’effigie de Paul Biya, président du Cameroun depuis 36 ans et en lice pour un autre septennat.
Dans cette localité, les agriculteurs font face à plusieurs problèmes. «L’une de nos principales difficultés reste l’accès aux financements, souffle le président d’une coopérative, membre de la représentation locale du parti au pouvoir, qui souhaite garder l’anonymat. Pour améliorer nos récoltes, payer les engrais de qualité, agrandir nos plantations, il nous faut de l’argent et on n’en a pas. On nous avait pourtant promis l’ouverture d’une banque agricole qui devait nous octroyer ces financements. Mais, rien ! On continue de souffrir». Au Cameroun, le manque de financement reste l’une des principales difficultés que rencontrent les agriculteurs.
Pourtant, le 4 octobre 2011, Paul Biya, alors en pleine campagne électorale pour sa réélection à Maroua, capitale régionale de l’extrême-Nord, promettait à ses supporters qu’une fois réélu, il allait s’atteler au lancement de «la banque d’appui au secteur agricole ».
Le chef de l’Etat précisait aux militants venus l’acclamer: « les leçons tirées des échecs des banques agricoles du passé ont inspiré l’adaptation de cette nouvelle banque non seulement aux réalités modernes mais également au développement du secteur financier dans notre pays. Cette banque devra avoir en son sein un département de fonds de garantie permettant à l’ensemble du système bancaire d’intervenir avec efficacité et moins de risques dans le secteur agricole. Elle devra avoir également un fonds d’investissement consacré à la promotion des PME engagées dans le secteur agricole ».
Des belles promesses qui devaient permettre à Marie, son mari, ses voisins et les millions de camerounais investis dans l’agriculture, d’en vivre et de « développer» le secteur qui occupe « 60% de notre population», expliquait Paul Biya, sous les applaudissements de la foule.
Le projet de la Banque agricole suspendu
Sept années plus tard, la promesse n’a pas été tenue. Le projet de la banque agricole a été «suspendu». En effet, en mars 2018, lors de la neuvième édition du Cameroon Business Forum, un rendez-vous des acteurs économiques du Cameroun, Alamine Ousmane Mey, ministre de l’Economie de la Panification et l’Aménagement du territoire, annonçait la suspension de la création de la banque agricole.
«Nous avons pensé qu’il était mieux de renforcer la Banque camerounaise des PME (petites et moyennes entreprises, BC-PME ) qui ne marche pas déjà assez bien, au lieu de créer immédiatement une seconde banque », expliquait-il aux hommes d’affaires.
« La banque agricole est un projet qui tient à cœur le président de la République car, plus de la moitié des camerounais vivent de l’agriculture. La banque sera créée. Le projet est suffisamment avancé, assure à Agri Check, l’entourage du ministre de l’agriculture et du développement rural. Nous ne pouvons vous donner aucune date».
Visiblement, Marie, son mari, ses voisins et les millions d’autres agriculteurs en quête de financements attendront encore.
A lire dans le 2ème épisode des promesses (agricoles) présidentielles: la réduction des taxes à l’exportation des produits agricoles.