Au Cameroun, les sœurs Ofono perpétuent un héritage familial dans le maraîchage
Salade, persil, céléri, poireau, menthe... Ces deux jeunes étudiantes ont trouvé un moyen d'assurer leur indépendance financière.
Six heures. Le ciel est encore noir et le froid vif. Mais dans la concession de la famille Ofono, l'heure n'est pas à la grasse matinée. Tandis que les plus jeunes de la maison se préparent pour la messe de 7 h, Ndjina Ofono et sa sœur cadette Ngah Ofono s'apprêtent pour une descente au champ. A Nkolondom, petit village de collines situé à 7 km du Centre de Yaoundé, la capitale du Cameroun, les travaux de la terre occupent encore une place importante malgré la pression foncière et ses conséquences sur la diminution des surfaces cultivables. Ses bas-fonds marécageux sont traversés par des petits cours d'eau dont le plus connu est le "Ntas". Un atout indéniable pour le maraîchage qui y est développé depuis les années 80 à côté de l'agriculture vivrière et la culture des arbres fruitiers.
Chez les Ofono, on est maraîcher de père en fils, de la mère à la fille. Un héritage que les sœurs, la vingtaine, tentent de perpétuer malgré plusieurs contraintes. Les jeunes filles ont compris les enjeux de cette activité. Le maraîchage contribue à la sécurité alimentaire dans les grandes villes. Au Cameroun, on compte en effet 48 ‰ des femmes dans les cultures maraîchères. 40% d'entre elles sont âgées entre 15 et 30 ans, tandis que 60% ont plus de 30 ans selon des statistiques datant de janvier 2023.
Salade, persil, céléri, poireau, menthe...
Le champ n'est pas très loin du domicile familial. Pour y arriver, il faut traverser une large route poussiéreuse en saison sèche et boueuse en saison de pluie. Une fois sur le site, on découvre des parcelles de terre d'une centaine de mètres qui s'étendent à perte de vue. « Ici nous cultivons de la salade, du céleri, du persil, de la menthe, du poireau, le zom et le folon », explique Ndjina Ofono. A ces légumes, elles ont associé la culture des céréales comme le maïs et des bananiers.
Cette journée du 3 mars est consacrée à la récolte des feuilles vertes comme la menthe. Ndjina et Ngah doivent apprêter 10 paquets pour une cliente qu'elles ne veulent pas décevoir. D'une main experte, elles déterrent la plante aromatique et bientôt son odeur entêtante embaume l'air. En un rien de temps, les dix paquets sont prêts. Il faut maintenant les débarrasser de la terre. Cela est fait à quelques pas du champ dans un cours d'eau qui le traverse. Les légumes sont ensuite rangés dans un coin. « On reviendra les transporter plus tard à l'aide de la brouette », expliquent les jeunes dames qui s'attèlent maintenant à l’entretien de quelques plants de salade. « Tout ce que vous voyez là a déjà été réservé par une dame. Nous attendons juste qu'elle paye pour effectuer sa livraison », dit Ndjina Ofono en pointant du doigt une parcelle de terre.
En ce mois de mars, début de la petite saison de pluie, le travail augmente en intensité. C'est la période des semis. Les journées de Ndjina et Ngah Ofono sont alors très longues. Elles commencent à 7 h et s'achèvent tard dans l'après-midi. Il faut désherber, labourer la terre en enlevant les résidus des dernières récoltes, entre autres tâches. « En saison sèche entre novembre et février, le gros du travail consiste à l’entretien des plantes. On arrache les mauvaises herbes et on arrose le matin avant de partir pour l'école ou en fin d'après-midi au retour », précise Ngah Ofono, étudiante à l'Institut Matamfen.
Sécurité alimentaire
Les difficultés ne manquent pas pour ces dynamiques demoiselles. Les plantes sont parfois ravagées par des insectes foreurs de tiges ou des pucerons mangeurs de salades. Pour y faire face et accroître les rendements de production, les maraîchers font usage des pesticides. Et du fumier pendant les labours pour la fertilisation du sol. La période des récoltes est le moment préféré des sœurs Ofono. Elles peuvent enfin savourer les fruits de leur dur labeur. La proximité du champ avec plusieurs marchés leur assure une clientèle diversifiée constituée de revendeurs et des particuliers. Les produits sont généralement vendus bord champ. Et quand les clients se font rares, Ndjina et Ngah Ofono, plateaux sur la tête, n'hésitent pas à descendre elles-mêmes au marché. Celui de Messassi est situé à 300 Francs Cfa de leur domicile familial et celui d'Etoudi à 500 Francs.
Au fil des ans, elles ont su tirer une fierté de cette activité. Quoique secondaire, elle a un impact sur leur bien-être. Le maraîchage joue un grand rôle pour une alimentation diversifiée au sein des ménages. D'autre part, c'est une source de revenus non négligeables. Mieux un savoir-faire qu'elles comptent aussi transmettre plus tard. Étudiante en cycle licence, Ngah Ofono a gagné en indépendance financière grâce à la vente des légumes. L’argent ainsi gagné lui permet par exemple d’assurer son transport pour l’université ou payer ses loisirs. Elle pense également à épargner pour des projets d’envergure. Il en est de même pour Ndjina Ofono. « Notre famille a réalisé plusieurs projets dont la construction des maisons avec l'aide des revenus issus de la vente de nos légumes », dit-elle avec fierté.
Elsa Kane Njiale