Au Cameroun, les chocolatiers locaux ont la côte
Depuis quelques années, on assiste à un regain d’intérêt des entrepreneurs pour la transformation du cacao en chocolat. Si une grande partie de cette transformation est artisanale, elle offre cependant une alternative aux paysans confrontés à la chute du prix du cacao.
Le petit Rudy a du mal à détacher ses yeux du spectacle qui se déroule devant lui. Du chocolat onctueux dégouline d’une mini fontaine. Le gamin tire sa maman venue assister au Salon internationale de l’Agriculture de Yaoundé (Sialy), dans la capitale camerounaise, et se dirige vers l’exposition.
Deux jeunes hommes trentenaires présentent les produits de leur chocolaterie. Ils l’ont appelé « chocolat Nohi» du nom d’Hippolyte Nozawo, co-fondateur et Ceo de la Petite et moyenne entreprise (Pme) : «C’est du chocolat made in Cameroun. Toutes les étapes de la transformation se font ici », fait-il savoir. « Nous commercialisons du chocolat à croquer et du chocolat de pâtisserie. On y retrouve le chocolat noir, blanc en tablette et en coffret ».
« Notre chocolat a la particularité d’être sans additifs chimiques car nous mettons un accent particulier sur la santé des consommateurs. Il est hautement concentré en fèves de cacao et beurre de cacao ce qui lui confère une meilleure qualité nutritionnelle et organoleptique », vante l’ingénieur des procédés agro-alimentaires diplômé de l’Ecole Nationale des Sciences Agro-industrielles de Ngaoundéré, dans l'Adamaoua, l'une des trois régions du nord du pays. Le jeune entrepreneur fait partie de ces nombreux camerounais intéressés par la chocolaterie.
Du chocolat noir à base de 90% et 60% de cacao
Au départ, la start-up Sipo Jus et Fruits proposait des jus naturels à ses clients. Par la suite, l’entreprise ayant son siège social à Bafoussam dans l’Ouest, s’est lancée dans la transformation du chocolat, encouragée par un formateur qui voyait une opportunité à exploiter. Ses offres vont du chocolat aromatisé au gingembre, du chocolat noir faits à 90% et 60% de cacao, du chocolat au lait, en tablette, coffrets ... pour une fourchette de prix variant entre 100 et 2 500 Francs Cfa.
Les raisons qui poussent des camerounais dans ce créneau longtemps considéré comme la chasse gardée des entreprises occidentales sont la passion et surtout le désir de redonner au cacao camerounais ses lettres de noblesse. En effet, après le temps faste des années 80, le cacao camerounais a perdu son image de marque au plan international. Il est très peu utilisé par les chocolatiers en France ou Suisse contrairement au cacao de Côte D'Ivoire par exemple.
« Nous voulons valoriser les produits locaux car j’ai été frustré du classement de notre cacao sur le marché international et de la qualification qu’on lui donne. Cet état de notre cacao a éveillé en moi une réelle et ferme volonté de redonner à notre cacao une meilleure image en le transformant en un produit de qualité supérieure qui refléterait la qualité intrinsèque de notre cacao », fait savoir Hippolyte Nozawo.
De ce fait, pour être compétitif sur le marché, les chocolateries du Cameroun s'assurent de la qualité du cacao avant sa transformation. Certains travaillent directement avec du cacao provenant de leurs propres plantations. Chez la Maison du chocolat Sipo Jus et Fruits, le cacao vient de Santchou et Kekem dans la région de l'Ouest.
Plantation
« Nous commençons par la plantation en traitant le cacao aussi naturellement que possible. Par la suite, la transformation se fait dans le respect strict des règles d’hygiènes et sanitaires en entreprises agro-alimentaires: le port obligatoire des équipements de protection, le respect des procédures... En bout de chaîne, nous faisons analyser un échantillon tiré au hasard des produits par un laboratoire adéquat, pour une sécurité sanitaire de nos produits », explique Hippolyte Nozawo.
Toutefois, le manque d'équipements appropriés freine les ambitions des entrepreneurs et impacte sur leur capacité à produire une certaine quantité de chocolat pour répondre aux besoins du marché local et de la sous-région Afrique centrale.
«Certaines machines sont importées et d’autres construites localement par des ingénieurs Camerounais. Notons que nous avons eu d’énormes difficultés à trouver des techniciens capables de fabriquer des machines respectant nos exigences, avec le temps nous avons fini par trouver. Actuellement, nous avons une capacité de production de six tonnes de chocolat par an et nous comptons l’augmenter très prochainement », dit le Ceo de Chocolat Nohi déterminé à tirer son épingle du jeu malgré les embûches.
Une école de chocolaterie
«Les difficultés sont énormes. La première étant la main d’œuvre qualifiée. Nous n’avons pas dans notre pays et dans toute la sous-région, une école de chocolaterie, nous devons à chaque fois former le personnel ce qui a un coût et demande beaucoup de temps. La seconde difficulté est que nous avons un produit qui n’est pas entré dans notre culture et nous devons donc amener les gens à changer leurs habitudes alimentaires. Une chose pas du tout facile et qui demande beaucoup de patience ».
Toutefois, les retours des clients ayant succombé à leur chocolat montrent que la demande existe. Il faut se rapprocher d’elle. En mai 2019, la Maison du chocolat Sipo Jus et Fruits a ouvert une boutique au Carrefour Meec à Yaoundé après celle de Bafoussam.
« lorsque des clients vous disent que votre produit leur permet d’être plus productif au travail, que ça calme leur mal de nerfs, lorsque la satisfaction du client va au-delà du simple plaisir gustatif, vous sentez que vous êtes en train de faire quelque chose de bien pour les hommes et les femmes du pays », se réjouit Hippolyte Nozawo.
Elsa Kane Njiale