Lorsqu’on parle d’entrepreneuriat agricole au Cameroun, un nom revient à plusieurs reprises : Flavien Kouatcha. Ce jeune homme âgé de 28 ans pratique l’aquaponie, un domaine de l'agriculture moderne qui permet de produire en même temps des légumes et du poisson dans un même kit aquaponique, sans engrais chimique. Après avoir démissionné d’une multinationale où il touchait plus d’un million de Francs Cfa par mois, Flavien suit sa passion et investit quatre millions dans la fabrication des kits qu’il vend entre 80 000 et 250 000 F. Cfa. Deux ans plus tard, il pèse 13 millions de Francs.
Pourtant, il y a 6 mois, prévoyant une croissance, le jeune agriculteur décide d’assurer ses installations. Il contacte trois sociétés d’assurance. « Je me suis rendu compte qu'ils n'ont pas d'assurance dédiée à l'agriculture, déplore-t-il. Tous m'avaient produit des proforma spécifiques. Après descente sur le terrain, ils m'ont dit que ce n'est pas fréquent pour eux de faire ce genre d'opérations ». Par mois d’assurance, Flavien doit débourser entre 320 000 et 628 000 F. Cfa. Ce qu’il trouve «vraiment » élevé et laisse tomber le projet.
Plus de 12 millions de personnes dans l’agriculture
D’après la Banque mondiale, 54 % de la population, soit plus de 12 millions des 22 millions d’habitants, vit de l’agriculture au Cameroun. Mais, le secteur n’attire pas les assureurs qui le jugent à « haut risque ». Selon l’Association des sociétés d’assurances du Cameroun (Asac), aucune entreprise n’est investie exclusivement dans le secteur agricole. Les sociétés d’assurance préfèrent s’occuper des véhicules, maisons, sociétés ou encore des personnes. « Nous n’avons pas d’assurance agricole chez nous», lâche un cadre de Chanas assurance, l’une des plus grandes sociétés camerounaises d’assurance.
Pour Innocent Kuaté, les risques tels la sécheresse, la venue tardive ou précipitée des pluies, l’appauvrissement des sols, la mortalité du bétail, sont entre autres, les raisons « spécifiques » qui freinent l’assurance agricole. En plus, le directeur technique de la Garantie mutuelle des cadres (Gmc), société d’assurance, déplore la mauvaise organisation du secteur. « Le gros de notre agriculture est artisanale. Comment peut-on assurer une structure qui ne tient pas une comptabilité minimum? Comment sauriez-vous le nombre de bêtes que vous aviez, ceux qui sont morts en cas de sinistre par exemple ?», s’interroge-t-il.
Conscient du potentiel agricole du Cameroun où la plupart des fermiers ont de petites exploitations, la société d’assurance Activa qui se considère comme «pionnière» dans l’assurance agricole, a mis sur pied en 2015 une couverture de perte de rendement sur des cultures maïs, manioc et sorgho, présentant moins de risques, selon eux. Pour mieux faire connaitre leur produit, Activa s’associe au Projet d’investissement et de développement des marchés agricoles (Pidma), initiative conjointe du gouvernement camerounais et la Banque mondiale, qui octroie des financements aux agriculteurs.
Malgré toutes les sensibilisations sur le terrain, les fermiers ne sont pas séduits par la proposition. « Le produit n’est pas passé. Les petits producteurs ont dit que les prix étaient très élevés », explique Henri Théodore Bayouak, directeur réassurance, actuariat et développement produits du groupe Activa. « Moi je ne peux pas investir de l’argent sans savoir si je vais perdre ou pas, assure Stéphane Talla, un jeune agriculteur. L’année dernière, les pluies sont venues à temps et ma récolte de maïs était bonne. Mais, en 2015 et 2014, j’ai perdu le tiers de ma récolte ».
L’assurance indicielle, la solution?
Que faire pour protéger les petits agriculteurs des effets des changements climatiques et implémenter l’assurance agricole au Cameroun ? Pour le faire, le gouvernement a demandé une étude de faisabilité à la Banque mondiale (Bm). En décembre 2016, les résultats ont été présentés: mise en place de l’assurance indicielle qui se base sur des indices météorologiques tels que l’humidité, la pluviométrie et la température. Elle permet ainsi de collecter des données climatiques pour anticiper et gérer les risques.
«L’assurance classique ne passe pas parce que les agriculteurs jugent le prix prohibitif, assure Henri Théodore Bayouak par ailleurs vice-président de la commission micro-assurance de l’Asac. L’avantage avec l’assurance indicielle est que l’agriculteur n’a pas beaucoup d’investissement à faire au départ et la gestion du produit est très simplifié du moment où c’est un indice climatique qui déclenche le dérèglement. Donc pas besoin d’avoir des experts qui descendent sur le terrain. Ce qui permet de ramener des taux d’assurance à un niveau très bas».
Pour la mise en place de cette assurance indicielle, Henri Théodore Bayouak explique que le gouvernement doit créer des stations météorologiques, mettre en place des politiques agricoles fortes et surtout, subventionner le secteur. De leur côté, les agriculteurs doivent tenir une comptabilité, améliorer leurs pratiques culturales ou d’élevage et surtout, s’organiser au sein des coopératives fortes. « A mon avis, les assureurs ne s'intéressent pour l'instant pas à l'agriculture parce que nous sommes une multitude de petits exploitants et nous ne sommes pas souvent très organisés en raison de l'alternance des revenus», conclut Flavien Kouatcha.
Josiane Kouagheu