C’est sur le rivage du fleuve Chari, sous le pont à double voies qu’on observe le grand champ de manioc de la capitale tchadienne. Etalé sur plus de 60 hectares, il est cultivé par des jeunes qui l’entretiennent, chacun dans sa partie. Le terrain est sablonneux, favorisant ainsi la croissance du tubercule et sa récolte. Une récolte qui se fait toujours en cette période de pluie : en Août, avant que le fleuve entre en cru.
Les tubercules sont plantées entre Janvier – Février. Ils sont entretenus et arrosés entre Février – Mai-juin, avant d’être délaissés à l’arrosage naturel, lors des premières pluies. C’est un chemin de croix qu’Issakha Mahamat Brahim vit: « on travaille beaucoup et si quelqu’un n’a pas de courage, il n’y parviendra pas. Le plus dur est la phase de la mise en terre et l’entretien. Une phase qui nécessite beaucoup d’effort. Car la récolte en dépend intégralement ». La terre cultivée est neutre. Elle n’appartient à personne, dit celui qui y cultive une portion depuis des années, après son grand-père et son père.
Pour « beaucoup » gagner, il faut aussi « beaucoup » investir. Issakha Mahamat a investi entre 700.000 et 800.000 F Cfa pour l’achat des tiges, le paiement de la main d’œuvre et l’entretien (arrosage, fumier) « j’achète les tiges de manioc très souvent à Bongor (région du Mayo-Kebbi, au sud-est du Tchad) ou entre N’Gueli et Koundoul. Je prends le temps de bien sélectionner. Les tiges un peu plus vieilles ne produisent pas. Je choisis les plus jeunes ». Tout est fait sans tracteur ni technologie.
Engrais strictement « écarté »
L’utilisation d’engrais est strictement écartée de ce champ. Tout est fait au naturel. L’engrais utilisé est la bouse des caprins et bovins, minutieusement préparé au préalable. Son utilisation ne se fait d’ailleurs pas chaque année de culture. Le terrain est fertile naturellement mais les cultivateurs le renforcent pour maintenir et optimiser la productivité, souligne Issakha Mahamat Brahim. Cette pratique leur permet d’obtenir des feuilles bien vertes, bonnes pour la cuisine, selon les producteurs. Ce qui est confirmé par les commerçantes et consommatrices.
A la récolte, les sourires envahissent les lèvres, car la joie est au comble et rien de perdu. « A la récolte, je gagne entre 800.000 et 1 million de francs Cfa de bénéfice. Il arrive que le bénéfice soit en deçà de ça, mais je ne perds pas. C’est une garantie. Quoi qu’il arrive, je gagne toujours quelque chose. Ce qui me permet d’investir et optimiser mes revenues financiers. Je fais tourner en attendant la prochaine saison, c’est comme ça que je fais », explique avec gaité Mahamat Bichara, un autre cultivateur.
Dans cette activité, les plus grandes difficultés restent les bétails qui broutent les feuilles de manioc. L’on note également la menace des hippopotames en saison de décrue, qui sortent du fleuve pour se nourrir. Pour pallier à cette menace, les agriculteurs de manioc s’entendent et montent à tour de rôle, la garde. « On se relaie pour permettre à chacun de vaquer à d’autres occupations. Le plus difficile est la protection contre les hippopotames qui sortent de nuit. C’est plus dangereux car ces animaux, sont imprévisibles. Mais on n’a pas le choix. On doit les braver. On les chasse par les bruits de casseroles qu’on émet et la lumière de nos torches la nuit. On érige aussi des mannequins du côté du fleuve d’où ils sortent », explique Mbaïtoubam Erneste.
A N’Djamena, ces agriculteurs se limitent à la production. Mais, rêvent déjà de transformation. Au bord du fleuve Chari, ils pensent augmenter leur production annuelle et entamer la transformation en bâton de manioc et farine. Pour l’instant, les tubercules de manioc sont vendus aux vacancières pour la préparation de leurs rentrées scolaires.
Marabeye Archange, à N’Djamena-Tchad