A l’Ouest du Cameroun, Michèle Josée Bakam, l’amazone qui protège les forêts sacrées
En 30 ans, la région a perdu 60% de ces espaces. Cette femme âgée de 39 ans se bat pour la conservation et la sécurisation de ces lieux réservées aux traditions et rites afin de réduire l’impact des changements climatiques sur la santé des populations.
Ce lundi 19 février 2024, Michèle Josée Bakam se rend au village Bakassa situé dans la région de l’Ouest du Cameroun. Vêtue dans un ensemble pantalon et chemise, style fantazia, la chargée des programmes à la Fondation internationale pour le développement, l’éducation, l’entrepreneuriat et la protection de l’environnement (Fidepe), accompagnée de deux membres de l’équipe de l’association, a pour objectif de présenter les articulations d’un projet de promotion, de préservation et sécurisation de la forêt sacrée de ce petit royaume. Surplace, elle expose son projet à Mathieu Emako, le chef supérieur de ce groupement de deuxième degré et à deux de ses notables.
Il consistera au reboisement de la forêt dégradée, à la préservation et à sécurisation de cet « espace mythique et mystique» avec l’implication de la communauté locale. Une étape qui débutera, selon Michèle Josée Bakam, par une séance de sensibilisation de la population à ces enjeux. Le reboisement en lui-même sera précédé par une étude ethnobotanique, dont le but sera de doter ce village des essences médicinales.
60% de forêts sacrées perdues en 30 ans
Sourire aux lèvres, la chargée des programmes à la Fidepe semble satisfaite des échanges. Cette habituée des chefferies traditionnelles de l’Ouest du Cameroun, véritables institutions en pays Bamiléké, maîtrise les usages traditionnels lui permettant ainsi de débattre de cette problématique avec les gardiens de la tradition dans le respect des interdits et de la chose sacrée. Car, sur le terrain, la situation préoccupe.
D’après Global Forest Watch, entre 2002 et 2022, la région a perdu 7 700 hectares de forêts primaires humides, ce qui représente 20% de sa perte totale de la couverture arborée au cours de la même période. A en croire le Rainforest Alliance, en 30 ans, l’ouest a perdu 60% de ses forêts sacrées, constituant ainsi une « une menace non seulement pour la faune locale, mais aussi pour les moyens de subsistance et les traditions culturelles des communautés locales ».
Dans une étude parue en 2020 et intitulée : « Les forêts sacrées dans les hautes terres de l’Ouest Cameroun : intérêt dans la conservation de la biodiversité », des chercheurs des universités de Dschang et de Yaoundé 1, notent que certains de ces espaces renferment au moins 34 espèces classées dans la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (Uicn) comme en état de préoccupation mineure dont six en situation de vulnérabilité. « Cette étude montre que les forêts sacrées renferment une phytodiversité non négligeable qui mérite des attentions particulières », concluent-ils. Et face à l’urbanisation et la pression humaine, les choses semblent s’empirer.
« Reine à la chefferie Bandeng »
Une urgence qui pousse Michèle Josée Bakam à sillonner les royaumes ciblés. Pour se faire entendre, il lui arrive même de bousculer le protocole établi, quitte à se mettre en danger. Ainsi, une fois, dans le cadre du Projet d’appui à la sécurisation et la conservation des aires du patrimoine autochtones et communautaires des forêts et bosquets sacrés dans la région de l’Ouest du Cameroun porté par la fondation Fidepe et concentré à l’époque dans cinq chefferies (Bafoussam, Bapi, Bamougoum, Baleng et Bandeng), elle rencontre tous les chefs à l’exception de celui de Bandeng qui se trouve alors au La’akam, lieu d’initiation du nouveau roi. « Je suis allée jusqu’au La’akam. Un endroit où seules quelques femmes y accèdent. Et quand tu y entres, soit tu deviens sa femme, soit sa sœur. Je ne suis pas ressortie [ comme ] sa femme, mais [ je suis ] plutôt devenue sa sœur... D’où le titre de reine à la chefferie Bandeng », raconte-t-elle.
« Elle est reine chargée d’émission du roi Bandeng sur plusieurs affaires dans la ville. Elle va être présentée au public dans les prochains mois», salue Prince Clovis Koagne. « Elle a un esprit d’écoute. Elle sait apprendre quand elle ne maîtrise pas certains détails. Mais, quand elle connaît, elle s’applique à fond. Elle est très humble. Elle et moi, et tous les autres membres de l’équipe, c’est vraiment comme une équipe de football où chaque joueur est dans une position. Et à la fin, on gagne un match», poursuit, admiratif, le coordonnateur de la fondation Fidepe, qui l’accompagne.
Rien ne prédestinait pourtant cette femme de 39 ans, à cette position de « leader » vanté par M. Koagne. En effet, après sa maîtrise en droit et carrières judiciaires, Michèle Josée Bakam travaille durant neuf ans comme responsable dans la distribution et les ressources humaines dans divers entreprises et institut d’enseignement supérieur à Douala et Yaoundé. Pendant cette période, elle obtient une bourse et finalise un master en droit international et comparé de l’environnement.
Bataille pour la protection
A l’époque, la protection de la nature l’intéresse déjà. Mais, elle reste concentrée sur les RH jusqu’au jour où elle se rend compte qu’elle n’a plus de « perspective d’avenir » dans son entreprise. Elle démissionne et retourne à Bafoussam, capitale régionale de l’Ouest. Dans sa ville natale, elle travaille pour une organisation de protection des droits humains. Très vite, elle fait un constat: « On va se battre pour la maman qui vend en route pour qu’elle ait des droits. Après, elle va au champ, elle cultive, mais il n’y a pas de pluie. Le climat a changé considérablement. Ça sert donc à quoi de se battre pour les droits de quelqu’un quand on ne peut pas se battre en amont pour essayer de préserver les droits à la santé ».
Ce questionnement la pousse à s'engager dans la préservation de l’environnement. « Si on protège l’environnement qui a un grand impact, dans toutes ses composantes, en évitant les ordures ménagères, la destruction des arbres, le climat ne va pas changer. Il n’y aura pas de l’air pollué…», relate la jeune femme. Une opportunité s'ouvre à elle via un contact avec Prince Clovis Koagne. «Il m’a mis dans la protection de l’environnement et j’ai ainsi mis en valeur la formation que j’avais déjà faite », se réjouit Michèle Josée Bakam.
Depuis, malgré les embûches, elle a su, par son dynamisme, s’intégrer dans un milieu réservé fondamentalement aux hommes. « En tant que femme dans ce travail, ce n’est pas facile. On travaille en ce moment sur les forêts sacrées. Il y a ce côté sacralité. Les hommes et leur machisme. Il y a des choses qu’ils veulent réserver pour eux. Ce n’est pas facile de travailler dans ce contexte », avoue celle qui refuse cependant de se plaindre. Pour Michèle Josée Bakam la préservation et la sécurisation des forêts et des bosquets sacrés dans la région de l’Ouest pour un environnement sain afin de réduire l’impact des changements climatiques sur la santé des populations est un sujet qui la « passionne véritablement ».
Armel Djiogue