A l’Ouest du Cameroun, les femmes misent sur la farine de manioc
Ces solutions locales permettent à ces dernières de contourner la hausse du coût de la farine de blé.
A Foumbot, localité située dans la région de l’Ouest du Cameroun, des femmes sont engagées dans la production et la transformation du manioc en farine panifiable. Réunies au sein du Groupement d’initiative commune (Gic) « Femmes nobles de Foumbot », elles disposent d’un champ de près d’un hectar edédié à la production des tubercules de manioc. Une activité qui leur permet ainsi de ne plus dépendre de la farine de blé devenue trop chère. « Nous pouvons désormais avoir sur nos tables, des produits faits à base des produits issus des farines locales. Avec ce que nous faisons, c’est désormais clair que la farine de manioc est un substitut au blé», confie Massabe Zenabou, secrétaire générale du GIC.
En effet, la farine de blé est la plus consommée dans le pays. D’après les statistiques de l’Institut national de la statistique, en 2021, le Cameroun a importé 966 400 tonnes de blé pour une valeur de 182,5 milliards de Francs Cfa, soit près du tiers du volume des importations de produits agricoles enregistrées. Depuis le début de la guerre russo-ukrainienne, les prix de cette farine sont en hausse dans les marchés. Plusieurs entrepreneurs camerounais se sont donc lancés dans la production de la farine de manioc.
Beignets, biscuits… de manioc
Grâce à des variétés améliorées résistant aux maladies, les « Femmes nobles de Foumbot » produisent 150 à 200 Kg de farine de manioc par mois. Éplucher, laver, écraser, sont les étapes importantes de la transformation. « Il faut utiliser les ustensiles propres pour éviter des contaminations éventuelles lors des opérations », explique Massabe Zenabou. Après le séchage qui se fait encore au soleil et dure 16 à 18 heures, la poudre de manioc est tamisée.
Conservée dans les paquets de un à cinq kilogrammes voire plus, cette farine est écoulée sur le marché local, lors des foires promotionnels, festivals et autres événements. Les prix varient entre 300 et 400 francs Cfa le Kg. « Nous allons pour le moment vers les consommateurs. Avec cette farine, nous pouvons faire des beignets, des croquettes, des biscuits et autres. Nous sommes d’ailleurs les premiers utilisateurs. Nous l’avons expérimentée avant de la mettre sur le marché », détaille Massabe Zenabou qui précise que la transformation se fait encore de façon artisanale.
D’après la secrétaire générale, elles font face au manque de matériel de transformation pouvant leur permettre de sécher la farine. «Comme vous pouvez le constater, nous ne pouvons déjà pas produire en grande quantité du fait du manque de machine. Tout est artisanal. Pendant les pluies, il est difficile de faire sécher la farine, car nous n’avons pas de machine adaptée à cet effet », déplore celle qui assure que cette transformation permet non seulement de réduire les pertes post-récoltes, mais surtout d’autonomiser la femme.
Plus de 100 000 Francs Cfa par mois
Chaque mois, le GIC engrange des revenus évalués à plus de 100 000 Francs Cfa issus de la vente de la farine et de ses autres produits dérivés, notamment l’amidon, le tapioca, la farine de couscous. Cette somme est repartie entre les deux membres actifs sur les 12 que compte le Gic. Massabe Zenabou ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Leur rêve est de passer de la transformation artisanale à celle industrielle, en se dotant de machines adaptées à la transformation et au conditionnement du produit final. Car la clientèle en raffole.
Dans les rayons de boulangeries, les produits à base de la farine de manioc sont disponibles et s’arrachent, comme le confie un boulanger de la ville de Bafoussam. « Certains clients ne consomment que des produits à base de la farine locale notamment du manioc. Elle est encore moins connue mais ceux qui savent apprécier l’exigent dans nos points de ventes. Que ce soit du pain, le gâteau, ou autres, les consommateurs s’abonnent véritablement », explique Roger Manfouo, pâtissier.
«Nous sommes fiers de consommer local. Le pain à la farine de manioc est devenu mon produit de référence au quotidien. Avec un goût particulier, je me suis adaptée à ce nouveau produit. Nous devons encourager les artisans engagés dans la transformation du manioc en farine », se réjouit Marie-Louise Malongui, consommatrice.
Boulangers formés
En 2023 déjà, 30 boulangers avaient été formés pendant une semaine à l’utilisation de la farine de manioc dans la fabrication du pain à Douala, à l’initiative de Christophe Eken, président de la Chambre de commerce, de l’industrie, des mines et de l’artisanat (Cima), avec l’appui du Dispositif d’appui à la compétitivité du Cameroun (Dacc).
Interrogé par Agripreneurs d’Afrique, le docteur Amos Mogo, chef du centre régional de la recherche scientifique et de l’innovation de l’Ouest, soutient que le centre a « mis à la disposition des organisations paysannes des variétés améliorées résistant aux maladies et produisant de la bonne farine sur le marché. Il a d’ailleurs prodigué des itinéraires techniques de transformation du manioc et de la patate en farine panifiable ».
D’après le dernier rapport du comité de compétitivité du ministère de l’économie, de la planification et de l’aménagement du territoire, le Cameroun qui occupe le 15ème rang mondial des producteurs de tubercules de manioc, a mis en place une plateforme des promoteurs de farines locales avec pour ambition de produire près de cinq millions de tonnes de farines (patate, plantain, maïs…) à l’horizon 2030. « Il est attendu dès 2023 une production de 26 100 tonnes de farine de manioc », précise le document. A l’Ouest, les Femmes nobles de Foumbot ne sont d’ailleurs pas les seules engagées dans la transformation.
Armel Djiogue