A l’Est du Cameroun, les forêts toujours exploitées illégalement
En violation de la Loi forestière, les exploitants illégaux pénètrent au quotidien dans des domaines forestiers non permanents, forêts communautaires et unités forestières d’aménagement (UFA) afin de prélever du bois pour usage domestique et production de charbon.
Inoussa est un producteur de charbon de bois installé au village Moïnam dans la région de l'Est du Cameroun. Encouragé par son frère, il y a acheté un espace d’un demi-hectare en 2023.« Le terrain avait beaucoup d’arbres, j’ai préféré d’abord me lancer dans la production du charbon», se souvient ce père de 14 enfants âgé de 45 ans. Depuis, Inoussa produit en moyenne 20 sacs de 50 kilogrammes de charbon chaque semaine.
Il n’est pas le seul. A l’Est, plusieurs personnes motivées par la forte demande en charbon du bois se sont installées dans les villages Moïnam, Lenguéré, Petit Mboulaye et Ndanga-Ndengué, sur la route qui mène à Garoua-Boulaï, ville frontalière avec la République Centrafricaine (RCA) en provenance de Bertoua, la capitale régionale. Ce charbon est commercialisé au prix de 3000 Francs Cfa le sac de 50 kilogrammes.
Selon Simon Zang Ko’o, notable à la chefferie de 3ème degré de Moïnam, en dehors des producteurs de charbon installés dans cette localité depuis sept ans, «il y a aussi une multitude de scieurs artisanaux qui écument les forêts de Moïnam ». D’après cette autorité traditionnelle, ces derniers sont spécialisés dans le sciage du bois blanc en diverses dimensions qu’ils vendent aux acheteurs en provenance notamment des régions septentrionales du Cameroun et du Tchad. Simon Zang Ko’o précise cependant que la production du charbon et les coupes de bois blanc pour l’usage domestique (fabrication des meubles et construction des maisons) dans cette zone se font en toute illégalité car personne n’y détient de titre forestier.
Bilan « catastrophique »
D'après un responsable à la délégation régionale des Forêts et de la faune de l’Est qui n’a pas souhaité être cité, « cette localité fait partie du domaine forestier non permanent car d’après l’article 20, alinéa 3 de la Loi du 20 janvier 1994 portant sur le régime des forêts, de la faune et de la pêche, le domaine forestier non permanent est constitué de terres forestières susceptibles d’être affectées à des utilisations autres que forestières dont son exploitation est soumise à l’obtention préalable d’une autorisation ».
Outre les forêts du domaine forestier non permanent, les forêts communautaires (FC) et les unités forestières d’aménagement, (UFA) sont prises d’assaut dans plusieurs localités de la région de l’Est, précise le responsable cité plus haut. « Je n'ai pas un site fixe de production. Où je trouve un arbre, je l’abats pour produire le charbon. Je produis en moyenne 20 sacs de 50 kilogrammes par semaine», confie d’ailleurs Yaouba, un producteur de charbon. « Pour trouver du bois éloigné de leurs villages les producteurs sont obligés d’aller camper en brousse », affirme pour sa part Silas Donouna, un cultivateur. Les habitants impuissants, voient ainsi passer ces exploitants illégaux.
« Le bilan 2023 dans le secteur des forêts communautaires est catastrophique. Toutes nos forêts sont prises d’assaut par les exploitants illégaux. On se retrouve donc en train de faire la concurrence avec ces exploitants illégaux sur le marché alors que nous payons toutes les taxes à l’Etat », regrette Onesime Ebongue Ebongue, président de la Fédération des forêts communautaires du Haut-Nyong et gestionnaire de la Communauté Active pour le développement des Bakoum, Baka et Pol (CADBAP), une forêt communautaire d’une superficie de 2 970 hectares située dans l’arrondissement de Dimako, département du Haut-Nyong.
Corruption
Au cours de l’année 2023, près de 200 mètres cube (M3) de bois composés des espèces emblématiques de la forêt comme « l’Ayous, l’Iroko, le Pacholba » ont été saisies dans la localité de Bétaré-Oya par la délégation départementale des Forêts et de la faune du Lom-et-Djerem. « Ces bois proviennent pour la plupart de l’exploitation illégale dans la localité de Mbitom », souligne OmboloTassi Engels Eding, délégué départemental, qui a supervisé les opérations de saisie.
Dans son rapport 2021, la Commission Nationale Anti-Corruption (CONAC) indique d’ailleurs que «Plusieurs malversations ont été relevées dans le secteur des forêts et de la faune portant sur l'attribution des ventes de coupe et les ventes aux enchères publiques des produits saisis ». « De grandes quantités de bois illégale émanant de projets de conversion des forêts accèdent aux marchés internationaux au vu et au su du Ministère des Forêts et de la faune et de l'Union européenne », s’alarmait déjà l’Ong Greenpeace Afrique dans un communiqué.
Crise d’existence
Les conséquences de cette exploitation illégale sont multiples. D'après Global Forest Watch, le Cameroun fait partie du top 10 des pays ayant perdu le plus de forêt en 2023 dans le monde. Cette coupe a un impact négatif sur la biodiversité, en détruisant les écosystèmes. Résultat, on observe l’avancée de la savane dans la partie nord de la région de l’Est Cameroun. Sur le plan financier, des milliards de Francs Cfa sont perdus par l’État chaque année selon le ministère des Forêts et de la Faune. Cette destruction engendre aussi des conflits entre les populations riveraines, les autorités administratives et les exploitants illégaux.
«C’est pourquoi nous voulions exercer la force sur les exploitants illégaux. Les populations sont marginalisées et si tu parles fort, on te piétine » s’indigne le chef de village Kagnol. Ce dernier et ses homologues des villages Djouyaya et Djolempoum, dans le département du Haut-Nyong ont bloqué les camions transportant le bois d’Ebène en provenance d’une UFA de la localité. En vain.
De leur côté, les Baka, populations autochtones des forêts, estimées entre 25 000 et 30 000 âmes qui vivent essentiellement de la cueillette et la chasse sont les plus affectées. D’après une étude menée par le Fonds mondial pour la nature (WWF), elles sont confrontées à une crise d’existence : « leur habitat naturel, la forêt, est menacée par l’exploitation sauvage et illégale, la création des aires protégées, le braconnage excessif opéré par les Bantou et la limitation aux ressources forestières indispensables pour créer et soutenir leur culture ».
Sébastian Chi Elvido